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Jeltoqsan

Jeltoqsan (en kazakh Желтоқсан көтерілісі, Jeltoqsan köterilisi, littéralement « insurrection de décembre », où Желтоқсан, Jeltoqsan, signifie « décembre » mais aussi « froid et venteux »[1]) est un soulèvement politique ayant eu lieu entre le 16-19 décembre 1986 dans la capitale kazakhe Alma-Ata. Ce soulèvement est la conséquence du remplacement de Dinmoukhammed Kounaïev, ethniquement kazakh, par Guennadi Kolbine, ethniquement russe, et est considéré comme l'élément déclencheur du développement d'un nationalisme kazakh contemporain[2]. Malgré les conséquences légales infligées aux meneurs des événements, Kolbine ne réussit pas à établir son autorité sur la république et est remplacé par Noursoultan Nazarbaïev en 1989[2] qui dirige par la suite le Kazakhstan pendant 30 ans avant de démissionner volontairement[3]. Il s'agit également de l'un des premiers conflits ethniques qui apparaissent à la fin de l'ère soviétique[4].

Jeltoqsan
Description de cette image, également commentée ci-après
Place de la République, autrefois connue sous le nom de place Brejnev, lieu du déclenchement des manifestations.
Informations
Date 16-
Localisation Place Brejnev, Alma-Ata (RSS kazakhe)
Caractéristiques
Participants 11 000-40 000[1]
Revendications Destitution de Guennadi Kolbine, remplacement par un membre de la nationalité kazakhe.
Bilan humain
Morts 200-1 000 manifestants
Blessés 8 500[1]
Arrestations 5 000-8 000[1]
Procès 108 condamnés à la prison, 900 sommés de payer une contravention, 1 400 avertissements, 319 renvois professionnels et 309 renvois académiques[1].

Contexte

Durant la période soviétique, la population kazakhe développe un ressentiment envers ses compatriotes russes. Les raisons pour ceci vont des dégâts environnementaux sur la mer d'Aral, la domination industrielle russe sur le nord de la république[4], les famines ayant touché la république durant les décennies 1920 et 1930[5] ou les tests nucléaires ayant eu lieu dans la région de Semipalatinsk[6]. De plus, l'économie kazakhe, jusqu'alors l'une des plus importantes de l'union, est sur le recul à l'aube de décembre 1986[7]. Ces tensions sont à leur paroxysme lorsque Mikhaïl Gorbatchev est choisi comme le nouveau leader soviétique[4].

Les événements menant à Jeltoqsan sont des conséquences de la montée au pouvoir de Gorbatchev à la tête de l'Union soviétique. Dans le cadre du remplacement de l'élite soviétique qui s'ensuit, Gorbatchev remplace la vaste majorité des membres du Comité central dont fait partie le dirigeant kazakh Dinmoukhammed Kounaïev. Considéré comme l'un de ses membres les plus corrompus, Kounaïev est renvoyé par le nouveau chef d'État et remplacé par des loyalistes[8]. Le choix de Gorbatchev pour le remplacer est le Russe Guennadi Kolbine qui n'a alors jamais été au Kazakhstan et dont la candidature a été imposée sans débat ni considération au pouvoir local[4].

Déroulement

Le soir de la désignation de Kolbine au poste, des étudiants en linguistique et en théâtre lancent des manifestations dans les rues d'Alma-Ata. Lorsque les forces de l'ordre engagent les protestataires, ceux-ci résistent à l'aide objets contondants et de roches[4]. Il n'y a cependant pas de consensus sur quel groupe a instigué les affrontements[9]. Les autorités locales condamnent rapidement les protestataires comme nationalistes et Noursoultan Nazarbaïev, alors chef du gouvernement, va à la rencontre des étudiants dans le but de mettre fin aux manifestations[7]. De plus, le pouvoir central va à son tour envoyer des troupes fédérales en support[9], mais aussi les travailleurs industriels qui étaient alors principalement de nationalité russe. Selon des analyses ultérieures des événements, la nomination de Kolbine fut perçue par la jeunesse kazakhe comme un rappel de trop d'un statut de citoyen de seconde classe dans leur république assignée[10].

Lorsque les autorités finissent par reprendre le contrôle sur la population, plusieurs participants sont dénudés et forcés à marcher hors de la ville. Étant en hiver, ceci cause la mort d'environ 100 civils[7]. De plus, plus de 1000 autres participants sont arrêtés par les autorités[9]. À la suite des affrontements à Alma-Ata, les manifestations s’étendent dans d'autres villes de la république telles Chimkent, Taldykourgan et Karaganda[1]. À Karakaralinsk, des unités anti-émeutes sont aperçues le lendemain des affrontements à Alma-Ata[11].

Au total, la Bibliothèque du Congrès estime que les événements ont mené à au moins 200 morts alors que d'autres sources vont jusqu'à estimer 1000 décès[7]. De plus, les événements ont causé environ 8500 blessés graves. De plus, des rapports indiquent que plusieurs femmes ont été violées durant les événements[1].

Conséquences

Au total, entre 5 000 et 8 000 personnes sont arrêtées pour leur participation au Jeltoqsan. Parmi eux, 108 sont condamnés à la prison, 900 sont condamnés à payer une contravention, 1 400 s'en sortent avec un avertissement, 319 sont renvoyés de leur emploi et 309 sont renvoyés de leur université. Parmi les participants, 1 700 déclarent avoir été traumatisés par ceux-ci[1]. Parmi les condamnés à la prison se trouve Kayrat Ryskulbekov qui est retrouvé en 1988 pendu dans sa cellule. La mort est subséquemment reconnue comme un meurtre[10].

Gorbatchev déclare plus tard ayant fait une erreur en nommant Kolbine au lieu d'un Kazakh[4].

Les événements ayant empêché Kolbine d'établir un contrôle sur la république, il est démis de ses fonctions en 1989. Noursoultan Nazarbaïev, alors le Kazakh le plus haut gradé dans les organes politiques officiels de la république, devient alors dirigeant de la république[12]. Cependant, tous les hauts gradés kazakhs dont des sentiments nationalistes sont suspectés sont démis de leur fonction[1]. Cependant, le Jeltoqsan mène tout de même à une réduction du nombre de Russes dans la bureaucratie kazakhe. Ceci alimente une peur à la kazakhification par les minorités ethniques de la république. En réponse à cette peur, les autorités implémentent des limites sur le nombre de Kazakhs ayant accès à l'éducation supérieure[1].

Les autorités vont plus tard établir une commission dirigée par Moukhtar Chakhanov[1] pour investir ce qui a mené à Jeltoqsan et ses conséquences. Cependant, elle est dissoute avant de produire ses conclusions[9]. Cependant, pendant les travaux de celle-ci, la plupart des participants condamnés à des peines de prisons sont libérés[1].

Jeltoqsan est considéré comme l'élément déclencheur de la montée d'un nationalisme kazakh dans les décennies faisant suite aux événements[1].

La participation à la suppression des manifestants n'a pas empêché plusieurs politiciens kazakhs de continuer leur carrière après l'indépendance. Parmi ceux dont le rôle est confirmé est Jarmakhan Tuyakbai, ancien président du parlement, qui est procureur lors des procès des participants[9].

Utilisations ultérieures

Monument Aube de la Liberté, situé au centre de de la rue homonyme à Almaty
Le Monument Aube de la Liberté à Almaty

Les événements mènent à la création de plusieurs partis politiques ayant pour but une réémergence nationaliste au Kazakhstan[1]. De plus, la perception de Jeltoqsan par les autorités change à la suite de l'indépendance du Kazakhstan. Entre autres, le gouvernement octroie un pardon à tous les participants de Jeltoqsan[9]. Ce changement de perception ne se limite pas au Kazakhstan. Après l'indépendance, des soldats décorés pour leurs actions à Jeltoqsan commencent à renvoyer leurs prix, le premier soldat ayant fait ce geste est le Kirghize Taalaybek Ylaytegin[9].

En septembre 2006, un monument aux victimes de Jeltoqsan est érigé à Almaty par Noursoultan Nazarbaïev[9]. Ce mémorial, le monument Aube de la Liberté, se trouve à l'extrémité sud de la rue Jeltoqsan et fait face à la place de la République où les événements ont débuté[13].

À la suite du massacre de Jañaözen, des opposants au régime de Nazarbaïev comparent les actions du gouvernement à ceux utilisés par Kolbine lors des événements de Jeltoqsan dans le but d'attaquer leur légitimité[14].

Références

  1. Kassymova, Kundakbaeva et Markus 2012, p. 123-125.
  2. Hiro 2011, p. 240-243.
  3. (en) « Nursultan Nazarbayev, Kazakhstan’s strongman, resigns », sur The Economist, (consulté le ).
  4. Taubman 2017, p. 366-367.
  5. Cameron 2018, p. 181.
  6. Werner et Purvis-Roberts 2014.
  7. (en) Catherine Putz, « 1986: Kazakhstan’s Other Independence Anniversary », sur The Diplomat, .
  8. Taubman 2017, p. 221; 309.
  9. (en) « Kazakhstan: Zheltoqsan Protest Marked 20 Years Later », sur Radio Free Europe, (consulté le ).
  10. (en) Joanna Lillis, « Kazakhstan: A Look Back at the Zheltoksan Protest a Quarter-Century Ago », (consulté le ).
  11. Bill Keller, « Origins of Kazakhstan Rioting are Described », The New York Times, .
  12. Hiro 2011, p. 243-244.
  13. Lioy et al. 2011.
  14. (en) Erica Marat, « Post-violence regime survival and expansion in Kazakhstan and Tajikistan », Central Asian Survey, Taylor and Francis, vol. 35, no 4, , p. 531-548.

Bibliographie

  • Sarah Cameron, The hungry steppe : famine, violence, and the making of Soviet Kazakhstan, Ithaca, Cornell University Press, .
  • Dilip Hiro, Inside Central Asia : A political and cultural history of Uzbekistan, Turkmenistan, Kazakhstan, Kyrgyzstan, Tajikistan, Turkey, and Iran, New York et Londres, Overlook Duckworth, (1re éd. 2009), 461 p. (ISBN 978-1-59020-333-0).
  • Didar Kassymova, Zhanat Kundakbaeva et Ustina Markus, Historical Dictionary of Kazakhstan, Scarecrow Press, .
  • Stephen Lioy et al., Lonely Planet Central Asia, Lonely Planet, .
  • William Taubman, Gorbachev : His Life and Times, New York et Londres, W.W. Norton & Company, .
  • (en) Cynthia Werner et Kathleen Purvis-Roberts, Ethnographies of the state in Central Asia : Performing Politics, Indiana University Press, , « Cold War Memories and Post-Cold War Realities: The Politics of Memory and Identity in the Everyday Life of Kazakhstan’s Radiation Victims ».

Voir aussi

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