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Impossibilité d'agir

En procédure civile québécoise, l'impossibilité d'agir est un concept qui constitue l'un des seuls moyens d'allonger les délais de rigueur prévus dans les règles de procédure. La notion est prévue aux articles 84[1] et 173[2] à 177[3] du Code de procédure civile du Québec. Une des principales causes de l'impossibilité d'agir est l'erreur administrative de l'avocat d'une partie, pour autant qu'il ne s'agisse pas d'une négligence grossière.

Dispositions principales

« 84. Un délai que le Code qualifie de rigueur ne peut être prolongé que si le tribunal est convaincu que la partie concernée a été en fait dans l’impossibilité d’agir plus tôt. Tout autre délai peut, si le tribunal l’estime nécessaire, être prolongé ou, en cas d’urgence, abrégé par lui. Lorsqu’il prolonge un délai, le tribunal peut relever une partie des conséquences du défaut de le respecter.

173. Le demandeur est tenu, dans un délai de six mois ou, en matière familiale, d’un an à compter de la date où le protocole de l’instance est présumé accepté ou depuis la tenue de la conférence de gestion qui suit le dépôt du protocole, ou encore depuis la date où celui-ci est établi par le tribunal, de procéder à la mise en état du dossier et, avant l’expiration de ce délai de rigueur, de déposer au greffe une demande pour que l’affaire soit inscrite pour instruction et jugement.

Le tribunal peut néanmoins, lors d’une conférence de gestion, prolonger ce délai si le degré élevé de complexité de l’affaire ou des circonstances spéciales le justifient. Il peut également le faire, même par la suite avant l’expiration du délai de rigueur, si les parties lui démontrent qu’elles étaient en fait dans l’impossibilité, lors de cette conférence, d’évaluer adéquatement le délai qui leur était nécessaire pour mettre le dossier en état ou que, depuis, des faits alors imprévisibles sont survenus. Le délai fixé par le tribunal est aussi de rigueur.

Si les parties ou le demandeur n’ont pas déposé le protocole de l’instance ou la proposition de protocole dans le délai imparti de 45 jours ou de trois mois, le délai de six mois ou d’un an se calcule depuis la signification de la demande. Le tribunal ne peut alors prolonger ce délai que si l’une ou l’autre des parties était en fait dans l’impossibilité d’agir.

177. Faute de demander l’inscription dans le délai de rigueur, le demandeur est présumé s’être désisté de sa demande à moins qu’une autre partie n’ait demandé l’inscription dans les 30 jours de l’expiration du délai. Le tribunal peut lever la sanction contre le demandeur s’il est convaincu qu’il était en fait dans l’impossibilité d’agir dans le délai imparti. Dans ce cas, le tribunal modifie le protocole de l’instance et fixe un nouveau délai qui ne pourra être prolongé que si un motif impérieux l’exige. »


Jurisprudence pertinente

Tribunaux d'appel

D'après l'arrĂŞt Construction Gilles Paquette inc. c. Entreprises VĂ©go LtĂ©e[4] de la Cour suprĂŞme du Canada, « l’erreur de l’avocat ne doit pas ĂŞtre fatale Ă  la partie qu’il reprĂ©sente lorsqu’il est possible d’y remĂ©dier sans injustice pour la partie adverse Â». La Cour suprĂŞme du Canada a aussi rendu les dĂ©cisions CitĂ© de Pont-Viau c. Gauthier Mfg. LtĂ©e[5]. et St-Hilaire c. BĂ©gin[6] qui Ă©noncent la mĂŞme règle.

D'après l'arrĂŞt Syndicat de copropriĂ©tĂ© du 8980 au 8994 Croissant du Louvre c. Habitations Signature inc[7] de la Cour d'appel du QuĂ©bec, « le dĂ©faut d’inscrire dans le dĂ©lai rĂ©sulte de la nĂ©gligence grossière de l’avocate qui reprĂ©sentait les appelants Ă  l’époque, nĂ©gligence qui « ne constitue pas une impossibilitĂ© d’agir » pour la partie elle-mĂŞme Â». De plus, « si la partie demanderesse dĂ©montre avoir Ă©tĂ© « en fait dans l’impossibilitĂ© d’agir » dans le dĂ©lai imparti, y compris en raison de la nĂ©gligence ou de l’incompĂ©tence (mĂŞme grossière) de son avocat, on devrait en principe s’attendre Ă  ce que le tribunal la relève de son dĂ©faut, tout en prĂ©cisant qu’il ne s’agit pas lĂ  pour autant d’un automatisme Â»

D'après l'arrĂŞt Heaslip c. McDonald[8] de la Cour d'appel, « la Cour est d’avis que, s’agissant d’une question de fait, l’impossibilitĂ© d’agir dont parle l’article 177 C.p.c. doit s’apprĂ©cier eu Ă©gard Ă  la partie demanderesse elle-mĂŞme, puisque c’est elle qui aura Ă  supporter les consĂ©quences du dĂ©faut si la sanction n’en est pas levĂ©e. Cette impossibilitĂ© peut rĂ©sulter de l’erreur, de l’incompĂ©tence ou de la nĂ©gligence, mĂŞme grossière, de son avocat, dans la mesure oĂą la partie elle-mĂŞme aura agi avec diligence. Si tel est le cas, le tribunal devrait en principe relever la partie de son dĂ©faut, tout en prĂ©cisant par ailleurs qu’il ne s’agit pas lĂ  pour autant d’un automatisme. Un exercice de pondĂ©ration, dans le respect de l’article 9 C.p.c., est requis de la part du tribunal saisi de la demande. Â»

D'après l'arrĂŞt Villanueva c. Pilotte[9] de la Cour d'appel, « Le pouvoir discrĂ©tionnaire confĂ©rĂ© au juge de première instance en vertu de l’article 110.1 a.C.p.c. ou de l’article 177 C.p.c., commande une grande dĂ©fĂ©rence [...] Seule une dĂ©cision abusive, dĂ©raisonnable ou basĂ©e sur des considĂ©rations erronĂ©es justifiera l’intervention d’une cour d’appel Â».

Tribunaux de première instance

Dans l'arrĂŞt Larouche c. MatĂ©riaux J.P.C. Inc.[10], le tribunal conclut que l'erreur d’un avocat constitue, pour la partie, une impossibilitĂ© d’agir Â» au sens de l’article Ă©quivalent de l'ancien Code de procĂ©dure civile

L'arrĂŞt Tremblay c. General Accident, compagnie d’assurances du Canada[11] donne Ă  titre d'exemple « lorsque l’avocat de la partie demanderesse a omis de dĂ©poser l’inscription avant ses vacances, on ne peut faire supporter au demandeur les inconvĂ©nients de l’erreur de son avocat puisqu’il est possible d’y remĂ©dier sans injustice pour la partie adverse Â»

L'arrĂŞt TĂŞtu c. Bouchard[12] a jugĂ© que « il n’y a pas lieu d’accorder une prolongation de dĂ©lai lorsque le dĂ©faut d’inscrire rĂ©sulte d’un entĂŞtement procĂ©dural de la part de l’avocat de la partie demanderesse et que cette dernière, malgrĂ© le rejet de la requĂŞte, n’est pas privĂ©e de son droit de poursuivre l’un des dĂ©fendeurs en justice puisque son recours n’est pas prescrit. Â»

L'arrĂŞt Michelin AmĂ©rique du Nord (Canada) inc. c. Pneu Pro-pose inc.[13] affirme que « l'impossibilitĂ© en fait d'agir doit s'apprĂ©cier concrètement, du point de vue de celui qui aura Ă  supporter les consĂ©quences de la forclusion s'il n'en est pas relevĂ© Â».

D'après l'arrĂŞt Therrien c. Lapierre[14], « compte tenu du caractère relatif de l'impossibilitĂ© d'agir Ă©noncĂ©e Ă  l'article 110.1 C.P.C., les circonstances particulières du prĂ©sent dossier peuvent ĂŞtre assimilĂ©es Ă  une impossibilitĂ©, en fait, d'agir Â»

Dans la dĂ©cision Compagnie de location Canadian Road (Location services financiers Volvo du Canada) c. Pasquin, « la mĂ©connaissance de l'application des dispositions du Code de procĂ©dure civile Ă©quivaut Ă  l'impossibilitĂ© d'agir prĂ©vue par l'article 110.1 C.p.c. ».

Dans la dĂ©cision Construction BSP inc. c. Marcotte[15], s'il n'y avait pas de mauvaise foi et les dĂ©lais ne sont pas excessifs, « il y a lieu de relever la demanderesse de son dĂ©faut de produire une inscription pour enquĂŞte et audition ».

D'après l'arrĂŞt Girard c. Gobeil[16], « une certaine retenue est de mise Â» et « le rejet d'une action doit ĂŞtre la sanction ultime et ne doit ĂŞtre utilisĂ©e qu'avec une grande prudence Â».

D'après la dĂ©cision Larouche c. BarabĂ©[17], « l'erreur administrative de l'avocate des intimĂ©s n'avait eu aucune consĂ©quence irrĂ©parable pour les requĂ©rants Â».

D'après la dĂ©cision Louis c. Lacerte[18]« les tribunaux font toutefois une distinction entre la simple erreur de l'avocat et l'erreur qui relève de la nĂ©gligence. Dans ce dernier cas, le dĂ©faut d'inscrire dans le dĂ©lai est fatal et le demandeur ne pourra ĂŞtre relevĂ© de son dĂ©faut. Â»

D'après l'arrêt Nicolas c. Cristiano[19], la négligence grossière de l'avocat ne permet pas de prouver l'impossibilité d'agir.

D'après la dĂ©cision Hoolahan c. Newman[20], « la jurisprudence rendue sur la notion d'« impossibilitĂ© d'agir dans le dĂ©lai » en vertu de l'ancien Code de procĂ©dure civile demeure pertinente Â»

Bibliographie générale

  • Ferland, Denis. BenoĂ®t Emery, PrĂ©cis de procĂ©dure civile du QuĂ©bec, 5e Ă©dition - Volumes 1 et 2, Éditions Yvon Blais, 2015.
  • Centomo, Donato. Droit judiciaire privĂ© 1 DRT 2231, UniversitĂ© de MontrĂ©al, FacultĂ© de droit, Livre imprimĂ©, 2006.

Notes et références

  1. Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art 84, <http://canlii.ca/t/dhqv#art84>, consulté le 2020-12-27
  2. Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art 173, <http://canlii.ca/t/dhqv#art173>, consulté le 2020-12-27
  3. Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01, art 177, <http://canlii.ca/t/dhqv#art177>, consulté le 2020-12-27
  4. J.E. 97-1194(C.S.C.)
  5. [1978] 2 R.C.S. 516
  6. [1981] 2 R.C.S. 70
  7. 2017 QCCA 1272
  8. 2017 QCCA 1273
  9. 2017 QCCA 1274
  10. J.E. 98-232 (C.A.)
  11. J.E. 98-337 (C.Q.).
  12. [1998] R.J.Q. 1938 (C.A.).
  13. Cour supérieure (C.S.), Chicoutimi, 150-17-000498-037
  14. Cour supérieure (C.S.), Montréal, 500-17-014176-039
  15. Cour supérieure 200-17-011804-093. 20 septembre 2010.
  16. Cour supérieure. 150-17-001848-107. 22 février 2011
  17. EYB 2012-208461
  18. EYB 2015-248277
  19. 2016 QCCS 450
  20. 2016 QCCQ
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