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Histoire des Juifs à Tlemcen

L’histoire des Juifs à Tlemcen est plurimillénaire, débutant probablement avec des marchands juifs qui plus tard judaïseront les tribus berbères de la région. La région est, à l’ère des gueonim, un centre d’étude assez important pour correspondre avec les académies talmudiques de Babylonie. Les Juifs sont cependant rejetés de la ville et cantonnés à la localité voisine d’Agadir à l'avènement de la dynastie zianide, au XIIIe siècle et jusqu’à l’arrivée d’Ephraim Al-Naqawa (Ephraïm Enqaoua), un rabbin fuyant les persécutions de 1391 en Espagne. Vénéré comme un saint, il fait construire une synagogue dans la ville et établit une longue lignée et forme de nombreux disciples. La communauté souffre d’une série de désastres au XVIe siècle avant de redevenir un centre vivace du judaïsme jusqu’à la déclaration d’indépendance de l’Algérie.

Des premières communautés à la conquête musulmane

Des Juifs sont présents dans le Maghreb central avant les débuts de l’ère chrétienne. Il s’agit probablement de marchands accompagnant les commerçants phéniciens qui sillonnent les côtes méditerranéennes ou suivent la route dite « des caravanes », qui traverse le désert et relie les côtes africaines de la Mer rouge et du Nord de l’Océan indien à l’Europe et à l’Atlantique, en passant par le Mzab.

La destruction du second Temple vers 70 de l’ère chrétienne, et les révoltes qui se sont ensuivies sous l'Empire romain s’accompagnent d’un flux d’émigration accru vers l’ouest, par la côte sud de la Méditerranée, jusqu’au Maghreb occidental (Maroc) en faisant souche tout au long du chemin, du Sinaï à l’Atlantique. Les arrivants maintiennent leur culture et leur foi, faisant des émules parmi les populations berbères locales.

De la conquête musulmane à la Reconquista catholique

Médaillon célébrant l'arrivée du « Vénérable Grand Rabbin Ephraïm Enkaoua » à Tlemcen

L’émigration juive s’accélère aux VIIe et VIIIe siècles, dans la région de Tlemcen comme dans les vestiges de l’Ifriqiya. L’autorité de l’Empire byzantin s’y fait moins sentir et des Juifs de la péninsule arabique suivent le mouvement de la conquête arabo-musulmane du Maghreb, s’alliant politiquement avec les conquérants ou commerçant autour de leurs armées.

On trouve la mention historique de la présence de communautés juives et chrétiennes à Tlemcen au XIIIe siècle à l'époque des Almohades. Si la communauté chrétienne ne survit pas aux persécutions par ces derniers, la communauté juive reparaît notamment à la suite de l'arrivée de Juifs d'Espagne, dont le rabbin Ephraim Enqaoua qui fait construire une synagogue[1]. Sa tombe devient un lieu de pèlerinage fréquenté jusqu'à l'indépendance de l'Algérie[2] lors de la hiloula de Lag Ba'omer[3].

Deux étapes majeures ont été franchies, à un siècle de distance, qui ont entraîné l’exode des populations juives hors d’Espagne :

  • Les massacres des juifs de Tolède par les chrétiens en 1391 ;
  • La reconquête définitive par les catholiques de tout le territoire péninsulaire sur les musulmans en 1492, sous le règne de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle la Catholique.

Aussi, en deux vagues, après 1391 et après 1492, les juifs quittèrent l’Espagne pour se répandre dans tout le bassin méditerranéen, sous le nom de « Séfarades ». On évalue aujourd’hui leur nombre entre 100 000 et 300 000. Certains prirent la route du Sud, au Maghreb (Maroc, Algérie dont Tlemcen et Tunisie contemporaines).

Les Juifs à Tlemcen, de la Reconquista à la conquête ottomane

En ce qui concerne l’arrivée de ces Séfarades à Tlemcen, elle date du premier exode d’Espagne vers 1391, puisque la légende dit que le Rabbi Éphraïm Enqaoua, mort en 1442 (honoré chaque année lors de la fête du Rab), avait mené la communauté juive de Tolède (expulsion de 1391) jusqu’à Tlemcen, où la dynastie qui régnait alors sur le Maghreb central avait son siège (les Abdalwadides, dits aussi les Zianides). Ceux-ci autorisèrent les juifs à s’installer en dehors de la ville puis à y entrer lorsque le rav Enqaoua eut soigné et sauvé de la mort la fille du roi. Ils y furent rejoints par un nombre important d’autres Séfarades, après la chute finale des musulmans d’Espagne, en 1492. Il faut se souvenir que dans ces confins algéro-marocains, de nombreuses tribus berbères nomadisaient depuis des siècles et qu’à l’époque déjà, la plupart étaient frottées de judaïsme, voire complètement judaïsées.

Les juifs de Tlemcen, comme tous les juifs en pays musulmans et avec des variations qui allaient d’une certaine ouverture au Maroc et dans le royaume de Tlemcen, à une grande dureté au Yémen par exemple, étaient soumis au statut de « dhimmis ». Ce statut était réservé aux « gens du Livre », juifs et chrétiens, qui avaient ainsi l’assurance de ne pas être massacrés et d’être gouvernés par des tribunaux et des lois de leur religion, contre le paiement d’impôts très lourds et une vie faite de soumission et d’humiliations.

Les juifs prospéraient particulièrement au XVe siècle à Tlemcen, capitale du Royaume zianide, qui atteignait 125 000 habitants au XVe siècle et où se développaient le commerce, les études religieuses[1], la médecine, etc. faisant de cette ville une petite Tolède et un centre savant juif et musulman, qu’elle est toujours restée jusqu'à l'indépendance algérienne. Les Juifs étaient influents auprès du pouvoir, certains étant diplomates, d'autres appointés juges rabbiniques (dayan) par le roi lui-même[1]. On a la trace de nombreux commerçants juifs et rabbins de Tlemcen qui ont arpenté la Méditerranée à cette époque et des liens assez étroits que les juifs de la ville entretenaient avec Safed, en Palestine, sur le plan religieux et avec Salonique, dans l’Empire ottoman, sur le plan commercial.

Les Juifs à Tlemcen, de la conquête ottomane à la conquête française

Cette relative tranquillité prit fin avec la conquête ottomane, au XVIe siècle, qui se traduisit en 1555 par la chute du royaume zianide (abdalwadide) de Tlemcen et, rapportent les chroniqueurs, par le massacre de tous les juifs de Tlemcen…

Il y a donc ici une véritable difficulté méthodologique : si tous les juifs de Tlemcen ont été massacrés en 1555, d’où viennent-ils ? On peut imaginer plusieurs réponses, non exclusives, qui se combinent sans doute pour donner une image plausible de la réalité :

  • L'ampleur du massacre a été exagérée par les chroniqueurs du temps et il ne fut sans doute pas total : personnes cachées et sauvées par des voisins musulmans, absents pour telle ou telle raison (commerce aux alentours ou voyages plus lointains), demande de rançons pour les plus riches, conversion forcée puis retour au judaïsme sous les Ottomans, quoi qu'il en soit une partie des juifs de Tlemcen a dû y échapper ;
  • Les tribus berbères judaïsées de la région ont échappé à ce massacre et avaient probablement hébergé des juifs de Tlemcen qui avaient fui ;
  • Les villes de Tlemcen et d’Oujda étant très proches (une soixantaine de kilomètres) et habitées par les mêmes familles et les mêmes tribus, il est probable que des juifs tlemcéno-oujdiens étaient en nombre pour affaires ou pour raisons familiales du côté chérifien (le Maroc), qui ne fut jamais conquis par les Ottomans. Tlemcen et Oujda étaient en effet deux étapes successives de la route des caravanes vers la Méditerranée et l’Espagne et les habitants des deux villes arpentaient sans cesse le chemin qui les unissait, que l’on pouvait parcourir en deux jours ;
  • Enfin, il est probable qu’après le massacre et très rapidement, des Juifs d’autres villes et des Berbères judaïsés des alentours soient venus s’installer à Tlemcen, pour y combler le vide laissé dans certaines activités spécifiques aux Juifs (bijouterie, ferblanterie, dinanderie, commerce des chevaux, travail du cuir, usure etc.)

C’est donc à partir de cette reconstruction du judaïsme tlemcénien, qu’une communauté s’est reformée, du XVIe au XVIIIe siècle, dont sont issus les juifs de Tlemcen. À la suite de la prise d'Oran par les Espagnols à la même époque , de nombreux Juifs de cette ville vinrent trouver refuge à Tlemcen, la communauté sera plus tard augmenté également par l'arrivée au XIXe siècle de nombreux juifs du nord-marocain, notamment de Tetouan.

Sous l’Empire ottoman, dont Tlemcen était la préfecture la plus occidentale, la ville a décliné, sa population atteignant à peine à 50 000 habitants au moment de la conquête française mais elle a conservé son prestige d’ancienne capitale du royaume abdalwadide (zianide) et son rôle de foyer intellectuel et religieux, chez les juifs comme chez les musulmans, puisque depuis le XVIe siècle, c’est à Tlemcen et dans sa région que s’est implanté le soufisme, forme éclairée et ouverte de l’islam. En outre, deux « monuments », l’un matériel, la mosquée de Tlemcen, reconnue comme la plus belle du Maghreb, l’autre « spirituel », le tombeau du Rab Enqaoua, adoré par les juifs et les musulmans et qui a réuni, lors de la fête du Rab, jusqu’à 10 000 fidèles, étaient des forces d’attraction puissantes.

Du côté juif, les relations religieuses avec la Palestine ont été renouées, d’autant plus facilement que désormais, Algérie comme Palestine appartenaient toutes deux à l’Empire ottoman. On trouve d’ailleurs à Tlemcen plus que dans la plupart des villes d’Algérie, des patronymes turcs chez les musulmans (Kara, Terki…).

Les Juifs à Tlemcen, de la conquête française à la Seconde Guerre mondiale

Cérémonie de l'enterrement de vieux livres hébraïques au cimetière de Tlemcen. Repas offerts aux pauvres. (Début du XXe siècle)

La conquête de l’Algérie par la France à partir de 1830 marque un tournant majeur dans la vie des juifs de Tlemcen, comme de toute l’Algérie. La prise de Tlemcen par les troupes françaises est intervenue en deux temps, en 1836 d’abord, puis en 1842, après que la ville eut été remise comme place-forte à l’émir Abdelkader pendant six ans. Comme à la fin de la période byzantine, la loi ottomane ne s’exerçait plus que de très loin dans la province d’Alger (le beylicat) et les tribus arabes et berbères avaient retrouvé toute leur puissance.

Comme dans toute l’Algérie, les juifs de Tlemcen virent d’un œil favorable l’arrivée des Français, qui allaient soulager le joug de la dimmah sous lequel ils vivaient dans une assez grande misère, depuis la conquête ottomane en particulier. L’administration française a effectivement soustrait les communautés juives à cette soumission, en attribuant aux juifs un statut d’indigène, différent mais égal à celui du statut de l’indigénat arabe. Il y avait donc en Algérie trois statuts : celui des citoyens français – et tout Européen vivant en Algérie pouvait devenir français très facilement (Espagnols, Italiens, etc.) - celui des Musulmans dits « indigènes », et celui des Juifs.

Dès cette époque, les juifs de France firent tous leurs efforts pour extraire les juifs d’Algérie de l’indigénat et leur faire octroyer la nationalité française. Il faut rappeler que les juifs de France furent les premiers en Europe et les seconds au monde (après les quelques dizaines de juifs américains devenus citoyens en 1776) à obtenir l’égalité civique en 1791, grâce à la République et à l’action combinée du duc de Clermont-Tonnerre et de l’abbé Grégoire. Malgré les difficultés faites aux juifs alsaciens et lorrains, à l’origine exclus de ce bénéfice sous l’influence des… Séfarades français qui considéraient ces juifs de l’Est comme des barbares, malgré le « décret infâme » pris par Napoléon en 1808 mais non renouvelé en 1818 par Louis XVIII, malgré enfin le serment judiciaire « more judaico » qui se maintint jusqu’en 1827, être juif en France, être juif français, être français de confession juive, était un bonheur et une fierté qui ne furent ternis que par le pétainisme. Même l’Affaire Dreyfus fut au bout du compte le triomphe de l’égalité des droits des juifs.

Les juifs de France, donc et particulièrement l’avocat Adolphe Crémieux, qui vécut de 1796 à 1880, fut un ami du vieil Abbé Grégoire (mort en 1831), défendit la Commune de Paris avec son frère Elie, mirent en œuvre tout ce qui était possible pour améliorer la condition matérielle et morale des juifs d’Algérie, dispenser un enseignement primaire aux garçons et aux filles et sortir les juifs de l’état « médiéval » de misère matérielle et morale dans lequel ils vivaient. De nombreux rabbins français furent envoyés en Algérie et très vite, il fut décidé officiellement (l’État et les Églises n’étaient alors pas séparés) que les rabbins d’Algérie devaient avoir été formés au séminaire israélite de France, ce qui excluait clairement les rabbins indigènes de la direction des communautés… Autant dire que les dits rabbins indigènes s’opposèrent à ces mesures de toutes leurs forces, par obscurantisme, par traditionalisme (surtout à propos de l’éducation des filles), par refus de perdre leur pouvoir sur les communautés et aussi parce qu’ils ne voulaient pas voir disparaître les formes rituelles de la religion des juifs d’Algérie. Le Rabbin Haïm Bliah, de Tlemcen, fut un de ces rabbins indigènes. Né en 1832, il est mort en 1919 et fut l’un des derniers, peut-être le dernier, à lutter contre les rabbins consistoriaux.

Sur la tombe de Rabbi Ephraim Enkaoua, Tlemcen

Cette bataille pour l’assimilation des juifs d’Algérie à la République et à la religion consistoriale connut deux grandes étapes :

  • le sénatus-consulte de 1865, sous le Second Empire, qui accordait la nationalité française à tous les juifs et à tous les musulmans qui le désiraient, à condition d’abandonner leur statut d’indigène et les règles qui y étaient attachées (le statut personnel) et de faire pour ceux qui étaient en âge, leur service militaire. Sous la pression des rabbins indigènes, très peu de juifs d'Algérie acceptèrent, sauf les plus éclairés et les plus éduqués ; citons parmi eux Aron Benichou, Tlemcénien, franc-maçon du Grand Orient de France, qui fit partie de la délégation de juifs algériens envoyée à Versailles en 1871 pour convaincre (avec succès) le gouvernement de M. Thiers de ne pas revenir sur le décret Crémieux (voir ci-dessous) ;
  • le décret Crémieux, (décrets nos 136 et 137, pris à Tours en Conseil de Gouvernement du Gouvernement de la Défense nationale le et signés d’Adolphe Crémieux, député de la Drôme et ministre de la Justice, Léon Gambetta, député de la Seine et ministre de l’Intérieur, Alexandre Glais-Bizoin, député des Côtes-du-Nord et Léon Fourichon, député de la Dordogne et ministre de la Marine et des Colonies). Ce décret attribua la nationalité française à tous les juifs d'Algérie, sans possibilité de la refuser. Il faut noter que l'un des arguments juridiques très forts des juifs de France en faveur de la naturalisation des juifs d'Algérie était le fait que l'Algérie étant la France (trois départements français et non une colonie depuis le Second Empire), il était impossible pour des raisons évidentes qu'une même population eût deux statuts différents sur un territoire unique : les juifs de France étant français depuis 1791 devaient l'être dans toute la France...

La guerre de 1870 va avoir un autre effet sur les juifs d’Algérie, en envoyant dans la colonie de nombreux Alsaciens, dont des juifs, qui refusaient la conquête allemande, par patriotisme et amour de la République. C’est ainsi que beaucoup de rabbins consistoriaux en Algérie furent des Alsaciens, comme les rabbins Weil et Hadas-Lebel, rabbins consistoriaux de Tlemcen et, pour le premier, ennemi intime du rabbin Haïm Bliah…

En deux générations et malgré la violence de l’antisémitisme des Français d’Algérie, qui se donnera libre cours au moment de l’Affaire Dreyfus (pogromes à Oran et Alger, assassinats, incendie de boutiques juives, élection triomphale à Alger de Drumont, le maître à penser de l'antisémitisme français et de nombreux maires, députés, sénateurs antisémites…), les juifs d’Algérie devinrent des Français, plus patriotes et républicains que quiconque et finalement extrêmement fiers de leur évolution culturelle et sociale. On le verra en 1914 comme en 1939 et en 1942, quand les volontaires juifs devançant l’appel se présenteront par centaines dans les centres de recrutement en Algérie.

À partir de la réhabilitation de Dreyfus (1906) et de la Première guerre mondiale, les juifs d’Algérie vont être assimilés, grâce à l’apaisement des passions antidreyfusardes d’une part, à la grande « machine à faire des Français » par les épreuves partagées, que fut la Première guerre mondiale d’autre part.

Comme partout en Algérie et dans les sociétés coloniales, les communautés de Tlemcen resteront séparées, européenne, arabe, juive, mais les trajectoires sociales et culturelles des juifs ressembleront de plus en plus à celles des "Français de France » ou d’ailleurs, puisque nombreux étaient les naturalisés d’origine espagnole, italienne, etc. À la différence de la plupart des autres pays du monde, on verra en Algérie comme en France, les Juifs échapper progressivement aux « métiers juifs » pour devenir minotiers, agents de police, instituteurs et professeurs, pharmaciens, fonctionnaires, garçons de café bref, français.

Ce mélange absolument spécifique à la judéïté algérienne de l’amour de la France, de la foi républicaine, du patriotisme, de la modernité sociale et du maintien des traditions cultuelles et culturelles ancestrales, va être modifié par la Seconde Guerre mondiale.

Les Juifs à Tlemcen sous Vichy

À la différence de tous les autres grands pays et de bien des petits pays d’Europe continentale, la France est seule à ne pas avoir basculé dans un régime fasciste et/ou autoritaire entre 1920 et 1940. L’Allemagne est nazie et l’Italie fasciste. L’Espagne est franquiste et la Pologne vit sous un autre type de régime autoritaire en 1939. Ajoutons-y la Hongrie, la Roumanie, la Finlande, etc. Il faudra donc la catastrophe de la défaite, l’effondrement moral et le naufrage politique qui s’ensuivirent pour que la France bascule à son tour dans le fascisme, arrivé dans les fourgons de l’ennemi et pour que tous les revanchards de l’extrême-droite antisémite, qui avaient été contenus pendant quinze ans, triomphent.

En Algérie, colonie très réactionnaire dans laquelle l’antisémitisme, on l’a vu, avait été virulent, le pétainisme fut très largement adopté par la population "européenne" d'Algérie, à quelques exceptions majeures près (Albert Camus par exemple). Les mesures antijuives, en particulier l’abrogation du décret Crémieux, le retour forcé des juifs à l’indigénat, l’élimination des juifs de la fonction publique, furent appliquées avec le plus grand zèle, d’autant que c'était un moyen tout trouvé de satisfaire et de faire tenir tranquille les populations musulmanes, qui depuis 1830 puis 1870, souffraient d’avoir vu les juifs devenir leurs égaux puis leurs « supérieurs » sociaux.

Il faudra le débarquement allié de , l'accession au pouvoir de de Gaulle en , alors que les Américains, par hostilité à ce dernier, avaient soutenu Darlan puis Giraud, fermant les yeux sur le fait que l’abrogation du décret Crémieux ne fût pas annulée, pour que, le , ce décret reprenne force et vigueur et que les juifs retrouvent leur nationalité et leurs pleins droits.

Les Juifs à Tlemcen de 1944 à nos jours

À partir de ce moment, les Juifs d’Algérie se réinscrivent dans la communauté nationale avec la même force et le même enthousiasme, s’engageant en masse dans l’armée française libre. Malgré tout, la fêlure de la Seconde guerre mondiale restera définitivement là, bien plus encore que les secousses antisémites de l’Affaire Dreyfus.

À partir de 1954 et du début des « événements » qui se transformeront bientôt en Guerre d’Algérie, les juifs vont vivre le destin de tous les Français d’Algérie, avec cependant une particularité : ils seront très largement favorables à la « 3e voie » défendue par Camus et le quotidien « Alger républicain ». En effet, les juifs d’Algérie ne se sentiront jamais proche de l’OAS, fille des antisémites et pétainistes des générations précédentes, ou des Européens hostiles à toute évolution du statut de la population arabe, évolution dont eux-mêmes, juifs, avaient profité en 1870. Ils ne se sentiront pas plus proche, à quelques exceptions notables (Jacques Timsit, Henri Alleg…) du FLN, se considérant comme Français en passe d’être chassés de leur terre ancestrale et gardant le souvenir collectif de l’antisémitisme et du joug arabo-musulman et ottoman.

En 1962, les juifs d’Algérie, dans leur immense majorité « rentreront » en France, où on les confondra avec les pieds-noirs, ces descendants d’Européens dont les ancêtres avaient fait le voyage en sens inverse, au siècle précédent.

Il faut noter que l’assimilation était tellement forte, qu’à la différence des juifs marocains, qui émigrèrent massivement en Israël et des Tunisiens, qui se partagèrent à peu près également entre Israël et la France (quelques-uns partirent en Italie, ancienne puissance coloniale avant la France), les juifs d’Algérie sont venus en France à plus de 95 %. Moins de 5 %, en général les plus pauvres et les moins éduqués ainsi que quelques rares militants sionistes, quittèrent directement l’Algérie pour Israël.

Quelques chiffres pour finir… En 1830, la population juive d’Algérie est évaluée à 22 000 personnes ; elle est de près de 140 000 personnes en 1962. La population juive de Tlemcen est de 1 500 personnes en 1830, de 6 000 en 1962. Tlemcen a en 1962, 80 000 habitants et a toujours été la quatrième ville juive d’Algérie en nombre d'habitants, après Alger, Constantine et Oran mais a toujours été considéré par son histoire judaïque, sa profondeur spirituelle, la qualité de ses savants dans l'enseignement et l’exégèse talmudique comme la référence du pays. Elle était parfois surnommée la « Jérusalem du Maghreb » comme Constantine, Fès et Tunis[4] - [5].

Notes et références

  1. « Tlemcen », sur Jewish Virtual Library
  2. « Souvenir du Rabb », sur Musée d'art et d'histoire du judaïsme
  3. (en) David M. Gitlitz et Linda Kay Davidson, Pilgrimage and the Jews, Westport, Praeger, , p. 141-143
  4. Alfred Parienti, Tlemcen Ville Sainte - Le pèlerinage du Rab (lire en ligne)
  5. Benjamin Stora, Les clés retrouvées, Stock, (lire en ligne)

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

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