Henri Meunier (Ă©carteur)
Henri Laulhé, dit Henri Meunier, est un écarteur landais, né le à Ossages et mort le à Mont-de-Marsan.
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(Ă 53 ans) Mont-de-Marsan |
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Histoire de la course
Bien que citée dans des documents dès le XVe siècle, la course dite landaise évolue surtout au XIXe siècle :
- la feinte est créée par les frères Darracq de Laurède en 1831 ;
- l’écart est pour la première fois exécuté par Cizos en 1850 ;
- le premier saut périlleux est effectué par Charles Kroumir en 1886 à Peyrehorade[1].
« Les premiers troupeaux espagnols font leur apparition en 1853 (jusqu'alors, les bêtes étaient des bêtes locales, plus ou moins sauvages). De même, les tenues des écarteurs « s'espagnolisent » à partir de 1875-1880 (apparition du boléro). Et l’épithète « landaise » n’est accolé au mot « course » qu'en 1890 »[1].
La vie rurale et l'enfance de Meunier
« Le 1er mai 1880 naissait Henri Laulhé à Ossages, au moulin du Gouat de Trouilh, sur l’Arrigan, ruisseau frontalier entre Ossages et Tilh. Jean Laulhé, son père était l’un des cinq meuniers (« moulié ») du coin, (il y en avait deux à Tilh et trois à Ossages)[1] » En cette fin du XIXe siècle, la situation dans les campagnes landaises était très différente de ce qu'elle est aujourd'hui : les gens vivaient en autosuffisance, avec très peu de circulation monétaire. Le paysan apportait une « mesure » de blé (ou de maïs) à faire moudre et le meunier lui rendait une mesure de farine.
La différence de poids (environ le cinquième de grain moulu) était son salaire. Le son qu'il conservait lui permettait d'élever quelques cochons, qui, avec la basse-cour et quelques vaches, (cinq ou six tout au plus), permettaient à Jean Laulhé de nourrir convenablement sa famille, ce qui n’était pas le cas de tout le monde[1].
La vie rurale se déroulait selon trois contraintes : l’isolement dû aux longs et mauvais chemins, les communications difficiles et l’argent rare. Chaque village était une micro société dont les divers corps de métier témoignent de cette façon de vivre en autarcie quasi totale. D'où un sentiment très fort d’appartenance à son village qui se traduisait jusque dans les intonations ou particularismes locaux de la langue commune, le gascon. En ces temps difficiles et dans ces conditions de vie, l'entraide était un « devoir sacré »[1].
« C’est donc au cœur d’une communauté rurale et au sein d’une famille unie que va grandir Henri Laulhé.L’école des garçons d’Ossages se trouve alors au-dessus du porche de l’église, dans le clocher. Henri Laulhé la fréquente car depuis les lois Jules Ferry de 1881 et 1882, elle est devenue gratuite et obligatoire, et puis, ses parents veulent absolument qu’il sache lire et écrire. Il la fréquentera jusqu’à l’âge de dix ans, puis deviendra meunier. Mais dès huit ans, le petit Henri se montre passionné par la course landaise et le métier d’écarteur[1]. »
L'Ă©carteur
Henri Laulhé descend pour la première fois dans les arènes d'Ossages à treize ans. Bien vite il va s’imposer à la fois aux bêtes (vaches et taureaux), aux autres écarteurs et au public. Sa bravoure stupéfiante, sa maîtrise de plus en plus affirmée vont être très vite remarqués par les spectateurs[2].
« Henri Laulhé est un athlète aux muscles d’acier forgés par le rude métier de meunier ; surmontant les autres écarteurs d’une tête, il ne passe jamais inaperçu. En août 1901, en amateur, il écarte et saute avec élégance et facilité la fameuse coursière « Césarine » dans les arènes de Tilh, situées à cette époque au bas du croisement du chemin de Lavignotte et du chemin de Grisère. Le même mois, « Lou Moulié » brille aux arènes de la Técouère à Amou et triomphe le 16 août à Pomarez. En septembre 1901, il reçoit sa feuille de route pour le 123e de ligne basé à La Rochelle. Il décide enfin d’écarter en formelle dès 1902. Il signe alors avec la ganaderia Bacarrisse de Cauna. Et pour les affiches, la presse, il lui faut choisir un nom, ce sera : LE MEUNIER. Au bout de quelques années, l’article défini disparaîtra et on ne le nommera plus que MEUNIER[2]. »
Il débute en formelle le au Houga, en Armagnac. Henri Lux décrit le premier écart en formelle :
« La Mogone vient de sortir avec furie de sa loge. Personne n’a tenté l’écart à sa sortie. L’entraîneur vient de la conduire contre un refuge, face à la présidence. Il l’y maintient à grand-peine. La piste est déserte. Tout le public connaît cette bête redoutable. Depuis plusieurs années elle est l’une des terreurs des places du Sud-Ouest. C’est une « marraine », une vieille vache rompue à toutes les ruses. Ses cornes aiguës n’ont encore jamais tué. Un miracle sans doute. Mais que de blessures graves n’ont-elles pas infligées(...) Et si c’était cette fois ? car cela doit arriver, inéluctablement…Tous y pensent malgré eux, la gorge sèche…On attend un « vieux de la vieille » pour débuter devant un telle bête. (...) Tout à coup (...), un frémissement de stupeur parcourt les gradins. Un inconnu avance. En veste pourpre chamarrée d’or, portant béret pourpre brodé. Il n’a pas écarté encore. On l’a bien remarqué au défilé avec sa haute taille. « Qui èy aquét ? » ! (« Qui c’est, celui-là ? ») La question habituelle revient. Peu de spectateurs ont lu les affiches ; la presse, n’en parlons pas. Les yeux s’agrandissent. « Oh, lou hilh dé pute [2] - [3]! pensent, le souffle coupé, des centaines d’hommes admiratifs. Il vient s’arrêter au-delà du centre. C’est donc un écart après une course longue qu’il entend réaliser. L’écart le plus périlleux, à la Mogone. Cet écart, il veut qu’il soit supérieur, serré au maximum. Pas question d’une dalhade[4] à cinquante centimètres de la bête.
Tout le public, éberlué, découvre maintenant une silhouette parfaitement immobile, pieds unis, bras tirés au maximum au-dessus de la tête. Le teneur de corde est prêt L’entraîneur lâche la Mogone qui se retourne et d’un galop d’une vitesse foudroyante, charge dans un tourbillon de sable l’écarteur immobile. Celui-ci, quand il le faut, se ramasse légèrement sur lui-même, saute haut, retombe juste devant le museau de la bête et échappe à son coup de tête en pivotant et en creusant les reins. Et la Mogone passe au ras de l’homme ! Impérial, pieds joints et bras allongés vers le ciel, Henri Meunier la regarde filer. Alors le public électrisé se dresse, hurle sa joie et applaudit à tout rompre cet inconnu qui désormais n’en est plus[2]. »
En 1904, il vient s’installer à Tilh, au moulin Darracq. Son parcours sera désormais celui de la gloire, pendant près de trente ans. Il remportera tous les concours, recevra tous les honneurs. Gravement blessé, il se présentera tout de même aux arènes de Morcenx devant les coursières, prenant des risques inouïs, mais des risques calculés au plus juste. Il tournera 23 écarts et remportera une fois de plus le 1er prix[2]
L'année 1905 sera sans conteste la plus grande saison d’Henri Meunier. Cette année-là , le docteur Levrier préconisait de séparer l’infirmerie de la buvette ainsi que d’« embouler » les cornes des vaches. « D’année en année, de course en course, Meunier va continuer à éberluer les foules d’aficionados qui se pressent dès que son nom est sur l’affiche. Le 26 juillet 1914, à Gabarret, Meunier va sortir le grand jeu : sentait-il confusément pourquoi il devait à son public une après-midi inoubliable ? Ses camarades vont aussi se surpasser. Et le célèbre chroniqueur Yan de la Hourtique, directeur du journal La Course landaise, lui rend un hommage dans son numéro du 28 juillet[5]. « Non, jamais je n’oublierai les prouesses inimitables d’Henri Meunier (...) Qui n’a vu cet homme, seul, au milieu de l’arène, exécuter le travail dont il est le seul capable, n’a rien vu (...) Il faut remonter dans ma mémoire à la fameuse course d’Amou qui consacra la gloire taurine du jeune Meunier d’Ossages et le classa à une hauteur telle, qu’aucun autre ne put l’atteindre sans se casser les reins[5]. »
Le , Henri Meunier est mobilisé et son régiment est envoyé en première ligne ; le , il est fait prisonnier au plateau de Craonne. Mais il est porté officiellement disparu. La nouvelle rapidement connue à Tilh et à Ossages, se propage très vite dans toute la Gascogne. En , une lettre de sa main arrive enfin à Tilh : La Course landaise sort un numéro spécial en août et dans une affiche vibrante annonce que l’écarteur n’est pas blessé. Il rentrera 46 mois plus tard, amaigri, usé et brisé[5].
Après l’armistice. Henri Meunier va renouer de façon éclatante avec les courses le à Pau où il remporte un très vif succès, qui se perpétuera les années suivantes. Blessé, quelques fois gravement, comme à Hagetmau le où la corne de Chalanguera lui transpercera la gorge sans toutefois atteindre aucun organe vital, il continue toutefois à fournir des prestations mémorables. Et lorsqu’il n’est pas en forme, la fanfare le rappelle en jouant « Meunier, tu dors »…Il reste un modèle pour tous les jeunes écarteurs et, malgré ses 45 ans, tous reconnaissent la valeur artistique incomparable de son travail. Un chroniqueur écrivit : « Il échappe à toute analyse ! ». Un amateur disait « Qu’ère unique » (Il était unique)[6]. Hors de l’arène, c’était un homme mesuré qui faisait montre de grandes qualités humaines. « Chaleureux, simple et modeste, il est d’une politesse scrupuleuse, d’une affabilité extrême, il est le type même du vrai gentleman ; d’une nature droite, bonne et généreuse. » (Cf Pelié, 1933)
Après la Grande Guerre, le déclin du métier de meunier l’amena à exercer une activité complémentaire : il faisait du transport (d’hommes, de courrier, etc.) avec un attelage de deux magnifiques chevaux[6]. À 53 ans, il continue à écarter : le critique "Le Carillonneur", écrit le : « Saluez en Henri Meunier, le prince des écarteurs. Les ans (53) ont pu lui enlever beaucoup de sa témérité, de sa souplesse, de son agilité, de son activité, de sa confiance, ils n’ont en rien atténué la précision et la sûreté de son œil, la beauté plastique et le pathétique de son jeu. »
Mais en ce mois de , aux arènes de Morlanne à Saint-Sever, lors d’un écart « en déhen » (en dedans) le teneur de corde se méprend et tire la corde : projeté à 1,50 m, victime d’une tumade[7] d’une rare violence suivie d’une commotion grave, Henri Meunier amené à l’infirmerie ne reprend ses esprits qu’au bout de longues minutes. Les mois suivant, souffrant violemment de la tête, Henri Meunier se rend compte qu’il perd peu à peu la raison. Le , il est présent dans les arènes de Mont-de-Marsan,…pour la dernière fois. Au 11e écart à répétition, il encaisse « un choc brutal suivi d’une pirouette fantastique ». C’était fini[6]. Hospitalisé à l’hospice Sainte-Anne à Mont-de-Marsan, Meunier comprit aussitôt qu’il n’en sortirait pas. Le dimanche , Henri Laulhé dit « Meunier » rendait à jamais son pantalon blanc, son boléro son béret : « Lou Moulié que s’ey mourt à l’espitaou dou Mount, yè »(Meunier est mort à l’hôpital de Mont-de-Marsan, hier)[6].
Notes et références
- Lux 1988, p. 1
- Lux 1988, p. 2
- Hilh dé : expression gasconne de ponctuation courante, n’ayant pas le caractère grossier de sa traduction française
- Dalha : faux à lame très allongée utilisée jadis pour couper le foin
- Lux 1988, p. 3
- Lux 1988, p. 4
- Tumade : choc violent suivi de quelques contusions
Voir aussi
Bibliographie
- Hubert Lux (Mairie de Tilh), Henri Meunier, Ă©carteur landais : Lou Meunier quin escartur ! (le Meunier, quel Ă©carteur !), Mont-de-Marsan, Jean Lacoste, , 160 p. (ISBN 2-909718-25-5), p. 1 Ă 4,