Guerre des Sukas
La guerre des Sukas (en russe : ŃŃŃŃŃ ĐČĐŸĐčĐœĐ°, littĂ©ralement guerre des « chiennes » ou guerre des « balances ») dĂ©signe des affrontements brutaux Ă lâintĂ©rieur du goulag, le systĂšme carcĂ©ral soviĂ©tique, entre 1945 et 1956.
Terminologie
Le mot russe suka (ŃŃĐșĐ°, littĂ©ralement chienne, au sens figurĂ© salope) est employĂ© dans lâargot des criminels avec une connotation trĂšs pĂ©jorative pour dĂ©signer une personne qui coopĂšre avec l'administration (une balance [1]). Avoir une rĂ©putation de Suka rend trĂšs difficile la vie en prison.
Contexte
Ă lâintĂ©rieur des prisons russes, il y avait des traditions et une structure sociale qui existaient depuis lâĂ©poque tsariste. Cette sociĂ©tĂ©, complexe et trĂšs organisĂ©e, Ă©tait dominĂ©e par la caste des « Voleurs dans la loi » (criminels professionnels respectant la loi du milieu). Lâun des principes les plus importants de ce systĂšme Ă©tait le refus absolu de collaborer avec les autoritĂ©s.
DĂ©roulement
Alors que la Seconde Guerre mondiale prenait de lâampleur, Joseph Staline offrit Ă un certain nombre de prisonniers leur amnistie Ă la fin de la guerre en Ă©change de leur engagement dans lâArmĂ©e rouge, pour renflouer les effectifs. Ă la fin de la guerre, Staline revint toutefois sur sa parole et renvoya les dĂ©portĂ©s dans leurs camps. Les vĂ©tĂ©rans qui retournĂšrent en prison furent dĂ©clarĂ©s suka par leurs codĂ©tenus et furent traitĂ©s en parias.
Ils nâeurent dâautre choix pour survivre que de collaborer activement avec les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires pour obtenir, Ă lâintĂ©rieur des prisons, les meilleurs postes et se mettre en position de force.
Cela, en plus de lâengagement des suka dans lâarmĂ©e, provoqua une guerre des dĂ©tenus dans les prisons soviĂ©tiques entre les vĂ©tĂ©rans et les chefs « voleurs dans la loi » . Elle est racontĂ©e par l'Ă©crivain Varlam Chalamov, ancien dĂ©tenu, dans son ouvrage Essais sur le monde du crime dans le chapitre La guerre des « chiennes ». En 1948, les truands Ă©dictĂšrent une nouvelle loi qui permettait de remplir les fonctions prĂ©cĂ©demment interdites comme celles de staroste, de chef de baraque, de soldat. Ceux qui se soumettaient Ă cette loi devaient ĂȘtre adoubĂ©s lors d'une cĂ©rĂ©monie de baiser au couteau. Apparurent ainsi deux classes de truands, les adoubĂ©s et les autres, et une guerre fĂ©roce se dĂ©clara entre eux Ă l'image de celle qui venait de se dĂ©rouler dans le monde[2].
Les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires fermĂšrent les yeux sur les exactions, les morts de dĂ©tenus contribuant Ă rĂ©duire la surpopulation carcĂ©rale. De plus, elles Ă©taient tellement violentes quâils crurent que le banditisme sâautodĂ©truirait.
Conséquences
Cette guerre est rĂ©putĂ©e avoir transformĂ© les vieilles organisations criminelles et sâacheva avec la victoire des suka et de leurs affidĂ©s. Certains estiment que 97 % des victimes Ă©taient des tenants de lâordre ancien. De ce fait, la dĂ©ontologie de non-collaboration des malfrats avec les autoritĂ©s nâexistait plus.
Avec la rĂ©forme des prisons aprĂšs la mort de Staline, notamment sous LĂ©onid Brejnev, la nouvelle organisation criminelle voulut casser les traditions et chercha Ă sâimpliquer avec le gouvernement.
Sur fond de stagnation Ă©conomique, de pĂ©nurie et de marchĂ© noir, ces nouveaux liens entre les criminels et autoritĂ©s soviĂ©tiques auraient introduit de la corruption dans lâadministration soviĂ©tique. De plus, lors de lâeffondrement de lâURSS, ils auraient largement contribuĂ© Ă lâĂ©mergence rapide de la puissante mafia russe et des oligarques.
Références
- Sophie Benech, dans sa traduction de Essais sur le monde du crime du russe, traduit systématiquement le mot par chienne. Elle indique qu'elle s'est fait conseiller en la matiÚre par Jacques Rossi, écrivain franco-polonais qui a passé plus de vingt ans dans le goulag.
- Varlam Chalamov (trad. Sophie Benech), Essais sur le monde du crime, Gallimard, , 101-136 p. (ISBN 978-2-07-072987-6)