Etemenanki
Etemenanki (du sumérien É.TEMEN.AN.KI, « la maison-fondement du ciel et de la terre ») est une ziggurat dédiée au dieu Mardouk à Babylone achevée sous le règne de Nabopolassar (625-604 av. J.-C.) et surtout Nabuchodonosor II (604-561 av. J.-C.)[1] construite au nord de l'Esagil. À l'origine haut de sept étages, il ne subsiste plus rien de l'édifice hormis son empreinte au sol. L’édification et l’existence de la tour s’étalent sur presque 20 siècles d’histoire, depuis la première dynastie babylonienne jusqu’au début de l’ère chrétienne.
Les témoins oculaires
Alexandre le Grand (IVe siècle av. J.-C.), roi de Macédoine (336–323 av. J.-C.), conquérant de l'Empire perse et l'un des plus grands chefs militaires du monde :
- « Il parvint à Babylone avec toute son armée. L'hospitalité des habitants l'incita à séjourner plus de trente jours dans cette ville. »
Hérodote (Ve siècle av. J.-C.), historien grec (484-406 av. J.-C.) :
- « Au milieu se dresse une tour massive, longue et large d'un stade, surmontée d'une autre tour qui en supporte une troisième, et ainsi de suite, jusqu'à huit tours. »
Tablette de l’Esagil
Babylone était le siège de deux pouvoirs. Le premier était celui du roi, qui habitait un gigantesque palais situé au nord de la ville, le second celui du dieu tutélaire de la ville, Mardouk, appelé aussi Bêl, « le Seigneur », roi des dieux du panthéon babylonien. Comme le souverain humain, il disposait dans le district sacré d’une vaste demeure, l’Esagil « la maison dont le sommet est élevé », où sous la forme d’une statue s’incarnait sa divinité. Si l'on en croit une inscription de Nabuchodonosor, les plafonds de ce complexe étaient soutenus par des poutres en cèdre revêtues d'or et d'argent. L'édifice était entouré par sa propre enceinte au bord de l’Euphrate.
Probablement né avec Babylone, le complexe religieux de l’Esagil, à l'image de la cité fut détruit puis reconstruit et enfin restauré à plusieurs reprises, au point qu'il existait encore au IIe siècle de l'ère chrétienne.
Conservée au musée du Louvre, la tablette dite « de l’Esagil », datée de 229 av. J.-C. et copie d’un document du VIe siècle av. J.-C., donne essentiellement les mesures de la ziggourat de Babylone[2]. Celle-ci devait avoir sept étages, disposés en gradins, que surmontait le temple du sommet. Les fouilles allemandes ont confirmé les dimensions de sa base carrée : plus de 92 m de côté.
- « Tablette de l'Esagil », version du musée du Louvre.
- « Tablette de l'Esagil », fragment du British Museum.
Les fouilles
Les fouilles ont révélé que trois grands escaliers, appuyés sur la face sud, donnaient accès au premier étage, plus élevé que les autres, et au second étage. Des escaliers plus petits permettaient d'atteindre le sommet, probablement à 90 m de hauteur.
- Sondages
- En 1811, par C. J. Rich, suivi par R. Mignan pour la East India Company ;
- en 1849, par le géologue W. K. Loftus, suivi par P.-E. Botta.
- Fouilles préliminaires
- En 1850, A. H. Layard commence des fouilles autour de la ziggourat ;
- en 1852 F. Fresnel et J. Oppert réalisent le premier plan détaillé de la ville ;
- en 1854, H. C. Rawlinson avec G. Smith font de brèves fouilles ;
- en 1876, H. Rassam ;
- en 1887, W. Budge pour le British Museum.
- Fouilles principales
- De 1897 à 1898, fouilles allemandes dirigées par Robert Johann Koldewey ;
- de 1899 à 1914, fouilles allemandes dirigées par W. Andrae, F. Wetzel, O. Reuther, G. Buddensieg.
Restauration de plusieurs édifices par les archéologues irakiens.
Matériaux et construction
L'argile, les roseaux et le goudron étaient principalement utilisés pour la construction des ziggourats. L'argile était moulé pour obtenir des briques et le goudron servait de mortier. Ces tours étaient pleines, c'est-à -dire sans pièce ni couloir à l'intérieur.
Le choix de la brique de terre argileuse repose sur des considérations pratiques et économiques de longue date ; la zone marécageuse de Babylone offrait une quantité de terre argileuse très importante, peu coûteuse et facile à modeler. Cependant, la terre crue est un matériau friable et peu résistant. La compression appliquée sur les premières tranches de briques par une structure imposante en limite les dimensions : les Mésopotamiens y auraient remédié en optant pour une pyramide à degrés, plus haute mais moins massive. Pour lutter contre l'érosion hydrolienne, la ziggourat comportait un parement de briques de terre cuite, plus résistantes. Les briques vernissées complétaient le haut du bâtiment et jouaient le double rôle de protection et de décoration.
Sa construction et son commanditaire sont attestés mais les étapes sont inconnues. Elle aurait nécessité une main-d’œuvre très importante qui, selon les tables, viendrait d'un bout à l'autre de l'empire.
Malgré l'usure inévitable des briques, l'Etemenanki demeura debout 230 ans après la mort de Nabuchodonosor jusqu'à l'arrivée d'Alexandre le Grand, qui ordonna sa restauration et son agrandissement. Toutefois, la mort soudaine du monarque macédonien mit fin au chantier. Par la suite, elle ne fut plus entretenue et, contrairement à la ziggourat d'Ur, elle subit progressivement des dommages naturels (inondation) et humains (extraction des briques) qui la réduisirent à un noyau central bordé d'un fossé inondé, encore visible sur Google Earth.
« E-temen-anki, la ziggurat [de Babylone], dont Nabopolassar, le roi de Babylone, mon père qui m'a engendré, avait posé la plate-forme de fondation, et qu'il avait construite haute de 30 coudées [15 m], mais qu'il n'avait pas achevée jusqu'au sommet - Je m'attelai moi-même [à y travailler. De puissants] cèdres, qu'au Liban, leur forêt d'origine, j'avais coupé avec mes mains pures, j'assemblai en rangées pour ses poutres. Ka-nun-abzu, Ka-e-temen-anki, Ka-nun-hegal et Ka-unir, les grandes portes autour d'E-temen-anki, le passage de [...] E-temen-anki et Ka-[...], je les liai ensemble comme dans les jours anciens. »
— Extrait d'une inscription de Nabuchodonosor II, commémorant la reconstruction d'Etemenanki[3].
Le temple élevé
Sur le dernier étage se dressait le gigunû, dont l’architecture est très mal connue.
L’écrit de Nabopolassar (625–605) déclare :
- « Mardouk, Ie seigneur, m’ordonna à propos d’Etemenanki, la tour à étages de Babylone, qui avant mon temps était tombée en ruines, d’assurer son fondement dans le sein du monde inférieur et son sommet, de la faire semblable au ciel ».
L’écrit de Nabuchodonosor (605-562) affirme: « d’Etemenanki, je rehaussai la pointe avec des briques cuites d’émail resplendissantes, semblable à la couleur du ciel. »
Le récit d’Hérodote en donne la description suivante :
- « La dernière tour contient une grande chapelle, et dans la chapelle on voit un lit richement dressé et près de lui une table d’or. Ils disent encore que le dieu vient en personne dans son temple et se repose sur ce lit ». (Histoires, I).
La reconstitution
C’est sur la base des relevés de la mission allemande de 1897 que cette modélisation a été réalisée.
La ziggourat était constituée de sept terrasses empilées les unes sur les autres. Deux rampes latérales permettaient d'accéder à la première assise. Des escaliers reliaient entre elles les terrasses suivantes. Chacune avait probablement sa propre couleur. Une rampe-escalier monumentale permettait l'accès direct à la dernière terrasse, le Gigunû, temple élevé plaqué de briques vernissées bleues.
La tour de Babel ?
Le récit biblique de la tour de Babel que les hommes tentaient d’élever jusqu’au ciel a depuis longtemps marqué les esprits, source d’inspiration pour bon nombre d’écrivains et d'artistes. Son association avec la multiplicité des langues peut être due au caractère cosmopolite de Babylone à l'époque, susceptible de frapper autant les Hébreux en déportation que la hauteur de la tour. Cette hypothèse est présentée dans plusieurs ouvrages sur la vie à Babylone.
Dans la fiction
Dans le manga Angel Sanctuary (1994-2000) de Kaori Yuki, l'Etemenanki est le nom donné à la « tour de la création », demeure scellée du Seigneur où se résout l'intrigue finale.
Dans le jeu vidéo Indiana Jones et la Machine infernale (1999) de LucasArts, Indiana Jones doit se rendre sur les ruines de la ziggurat pour espionner les Russes et découvrir ce qu'ils cherchent à Babylone.
En 2003, Patrick Banon a publié aux éditions Flammarion un roman historique intitulé Etemenanki.
En 2020, Guillaume Hubert a publié une bande dessinée intitulée Etemenanki, histoire d'un monde suspendu, autoritaire et aseptisé, ayant perdu tout lien avec la nature et la Terre.
Bibliographie
- Béatrice André-Salvini, Babylone, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? »,
- Béatrice André-Salvini (dir.), Babylone, Paris, Hazan - Musée du Louvre éditions,
- (de) Hansjörg Schmid, Der Tempelturm Etemenanki in Babylon, Mainz am Rhein, Philipp Von Zabern, coll. « Baghdader Forschungen » (no 17),
- Jacques Vicari, La Tour de Babel, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que-sais-je ? » (no 3555),
- (en) Andrew R. George, « The Tower of Babel: Archaeology, history and cuneiform texts », Archiv für Orientforschung, vol. 51,‎ 2005-2006, p. 75–9
Notes et références
- Scheil Jean-Vincent. Esagil ou le temple de BĂŞl-Marduk Ă Babylone. In: MĂ©moires de l'Institut national de France, tome 39, 1914. p. 293-308. persee.fr
- Tablette dite "de l'Esagil". Département des Antiquités orientales : Mésopotamie. Sur louvre.fr
- Traduction reprise de André-Salvini (dir.) 2008, p. 234.
Liens internes
Lien externe
- (en) « Etemenanki (the "Tower of Babel") », sur Livius.org, (consulté le )