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Ergologie

L'ergologie est une démarche permettant d’analyser les situations de travail et plus généralement les activités humaines, et d’y intervenir pour les transformer. Il s’agit d’une démarche qui vise à mettre en dialogue les savoirs académiques traditionnels élaborés par les différentes sciences humaines et sociales, et les savoirs des protagonistes des activités humaines qu’ils acquièrent et produisent du fait même de leur participation à ces activités.

Introduction

Aujourd’hui, il semble Ă©vident que le monde du travail n’a pas cessĂ© d’être façonnĂ© et remodelĂ© par de nouvelles mutations : des nouvelles pratiques des acteurs sociaux Ă  ce que l’on appelle par facilitĂ© « l’UbĂ©risation Â», ou des pratiques hospitalières aux entreprises dites « libĂ©rĂ©es Â», en passant par les « FabLabs Â» et la « communautĂ© des Makers Â», sans oublier les transformations plus lentes dans les industries manufacturières ou les industries de process nĂ©cessitant d'importants investissements matĂ©riels. Or nous avons l’ambition de comprendre ce qui fait la vie des activitĂ©s humaines, de connaĂ®tre les nouvelles modalitĂ©s du travail, les problèmes qui en surgissent, les Ă©ventuels dĂ©sĂ©quilibres occasionnĂ©s et les nouveaux arbitrages opĂ©rĂ©s ou espĂ©rĂ©s qui permettent ou permettraient de « vivre en santĂ© Â». Et comprendre, connaĂ®tre, par l’approche ergologique, ne peut se faire que par la mise en dialogue des savoirs acadĂ©miques Ă©laborĂ©s par diffĂ©rentes sciences (humaines, de la nature, de l’ingĂ©nieur), et des savoirs issus de la pratique, acquis et produits par la participation aux activitĂ©s humaines.

La démarche ergologique a vu le jour dans les années 80, dans un contexte de crise du travail, et s'appelait alors "analyse pluridisciplinaire des situations de travail". C'est en 1997 que le terme ergologie est apparu[1], les travaux du philosophe Yves Schwartz et notamment l'ouvrage (réalisé sous sa direction) Le Travail Humain : « Reconnaissances du travail. Pour une approche ergologique" P.U.F. (1998) ont largement contribué au rayonnement de cette démarche dans le monde universitaire et scientifique[2].

Intérêt et enjeu d'une approche ergologique des activités humaines

La dĂ©marche ergologique repose Ă  l’origine sur un « positionnement Â» selon lequel « rien de sĂ©rieux ne peut ĂŞtre dit sur le travail indĂ©pendamment de ceux qui travaillent Â». C’est vrai du travail comme de toute activitĂ© humaine. Ainsi, l’ergologie se situe d’emblĂ©e au carrefour de multiples savoirs universitaires et des « savoirs-y-faire Â» des acteurs qui Ĺ“uvrent dans les situations concrètes. Il s’agit de mettre en question ce qui se joue dans l’activitĂ© humaine en situation, activitĂ© prise dans des dĂ©bats entre exigences collectives et exigences individuelles, entre contraintes et initiatives.

La dĂ©marche ergologique permet donc une rĂ©flexion critique et constructive sur la pluralitĂ© des normes Ă  l’œuvre dans les activitĂ©s humaines. Ce faisant, il semble fondamental d’admettre que ces normes ne peuvent ĂŞtre complètement ni dĂ©finitivement prĂ©Ă©tablies Ă  l’écart des protagonistes qui agissent dans des situations toujours singulières et changeantes, avec leurs « manières de faire Â».

Or enfin, si s’interroger sur le travail comme activitĂ©, et plus gĂ©nĂ©ralement s’instruire de l’activitĂ©, consiste Ă  penser la façon dont ses normes sont Ă©laborĂ©es et pilotĂ©es, l’étude des situations apparaĂ®t insĂ©parable d’une rĂ©flexion sur les transformations exigibles ou exigĂ©es par les acteurs. Il faut peut-ĂŞtre ainsi voir dans toute activitĂ© ce qui fait son dynamisme vital, et mĂŞme sa santĂ© : un refus de la passivitĂ©, une « opposition Ă  l'inertie et Ă  l'indiffĂ©rence Â»[3], selon les mots du philosophe Georges Canguilhem.

Par consĂ©quent, l’enjeu de la dĂ©marche ergologique est de faire Ă©merger les multiples façons dont sont mises en mots et en pensĂ©es les activitĂ©s menĂ©es en situation ; s'instruire ainsi de ces activitĂ©s en situation suppose de rester attentif Ă  ce qu'elles offrent d'inattendu. Mais l’enjeu n’est pas simplement de connaĂ®tre thĂ©oriquement une activitĂ© humaine : s’interroger sur une activitĂ© consiste alors aussi Ă  rĂ©flĂ©chir aux valeurs de cette activitĂ©. Il s’agit de se demander pourquoi tel choix a Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rĂ©, au nom de quelles valeurs, comment ces valeurs sont devenues des normes, comment elles sont vĂ©cues et vivables, pour affronter quels alĂ©as, en prĂ©vision de quelles actions... Les enjeux sont, en ce sens, indissociablement des enjeux thĂ©oriques et Ă©thiques. 

La revue Ergologia

Créée en 2008, Ergologia est une revue internationale et pluridisciplinaire, fruit de collaborations vieilles de 20 ans et dont le réseau franco-lusophone « Ergologie, Travail et Développement », créé en 2007 et devenu international depuis, fut une étape marquante. Depuis le numéro 13, la revue est bilingue (français/portugais) et publiée par la Société Internationale d’Ergologie deux fois par an, avec le soutien du Centre d’Épistémologie et d’Ergologie Comparatives (CEPERC, UMR 7304) et de l'Institut d'Ergologie de l’Université d'Aix-Marseille.

Son objectif est de favoriser confrontations et dialogues entre savoirs académiques et enseignements issus des expériences sociales concernant la nature, l’organisation, la gestion, le gouvernement du travail et de l’activité humaine. Ergologia met donc à disposition d’un large public des résultats de recherches et d’études dans différentes disciplines, des bilans et des conférences, des récits d’expériences vécues dans divers univers professionnels. Les auteurs sont chercheurs, enseignants, étudiants, cadres d’entreprise, praticiens, syndicalistes… Ils s’adressent à toute personne s’interrogeant sur la connaissance et la transformation des activités de travail, et souhaitant engager un échange avec ou à partir de l’approche ergologique.

Expérimentation dans le cadre de la formation en milieu carcéral[4]

Dans le cadre d'une commande de l'administration pénitentiaire en Alsace en 1998, une action de formation a été menée avec les détenus affectés à la cuisine (encadrés par 2 professionnels de la restauration) qui ont été mis en situation de travail afin de leur faire constater par eux-mêmes les compétences qu’ils mettent en œuvre lors de la réalisation de ce travail (dispositif désigné sous le terme de “rencontres du travail” en ergologie).

Les résultats de cette approche des compétences par l'ergologie ont montré une meilleure performance des équipes et une amélioration de l'ambiance de travail. La formalisation des compétences des personnes engagées dans cette action a provoqué chez certains d'entre eux la volonté de s'impliquer à l'avenir dans un processus de formation alors qu'ils ne l'envisageaient pas au départ.

Notes et références

  1. Laurence Belliès, « Ergonomie et ergologie : les apports réciproques », Ergologia, no n°9,‎ , p.138-145 (lire en ligne [.pdf])
  2. Jean-Claude Sperandio et Annie Drouin, « Entretien de la SELF avec Yves Schwartz » [.pdf], sur ergonomie-self.org,
  3. CANGUILHEM G., Le normal et le pathologique, Paris, Presses Universitaires de France, coll « Quadrige », 2003 9ème édition, p 163
  4. Dolz Joachim, Ollagnier Edmée (dir.) et Louis Durrive, L'énigme de la compétence en éducation, De Boeck Supérieur, , 234 p. (lire en ligne [.pdf]), « Une action de formation en milieu carcéral : un exemple d'approche des compétences par l'ergologie », p.169 à 182

Voir aussi

Bibliographie

  • Samira Mahlaoui et Jean-Paul Cadet, « La dĂ©marche ergologique, une contribution originale Ă  la comprĂ©hension des relations entre la formation et l'emploi », CĂ©req Echanges, no 7,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  • Schwartz Yves, Le paradigme ergologique ou un mĂ©tier de philosophe, Toulouse, Octares Ă©ditions, 2000.
  • Schwartz Yves, Travail et ergologie, entretiens sur l’activitĂ© humaine, ouvrage collectif sous la direction de Louis Durrive, Octarès Ă©ditions, 2003.
  • Schwartz Yves, L’ActivitĂ© en dialogues. Entretiens sur l’activitĂ© humaine (II), suivi de Manifeste pour un ergoengagement, ouvrage collectif sous la direction d’Yves Schwartz et Louis Durrive, Octarès Ă©ditions, 2009
  • Schwartz Yves, Reconnaissances du travail. Pour une approche ergologique. Presses Universitaires de France, « Le Travail humain », 1998

Liens externes

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