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Deux cavaliers de l'orage

Deux cavaliers de l'orage est un roman de Jean Giono publié en 1965 aux éditions Gallimard. Une première mouture en a été élaborée dans les années 1938-1942.

Deux cavaliers de l'orage
Auteur Jean Giono
Pays Drapeau de la France France
Genre Roman
Éditeur Gallimard
Collection Blanche NRF - Folio n° 198 : Parution 1972
Date de parution
Nombre de pages 230 (Ă©d. originale)
ISBN 9782070228362

Ce roman plutôt méconnu montre dans un pays imaginé à partir de la Haute-Durance la proximité très forte de deux frères. Marceau, l'aîné à la carrure puissante dont le nom renvoie au dieu de la guerre Mars, et Ange, le beau cadet au corps délié, qui sont à la fois fusionnels et rivaux. Ils se sauvent réciproquement la vie mais fascinés par la violence et la domination, ils s'affrontent dans une lutte farouche qui sera fatale au cadet, éventré de coups de serpe par l'aîné qui ira mourir dans la montagne.

Publication

Une première mouture du roman est écrite entre 1938 et 1942 et Giono la publie dans la revue pétainiste La Gerbe entre et , ce qui lui sera reproché à la Libération[1]. Il reprend son texte plus tard, après la guerre mais ne l'achève qu'en 1964. Il le publie en novembre 1965 aux éditions Gallimard (c'est son avant-dernier roman).

Le titre Deux cavaliers de l'orage renvoie à une scène du roman où les deux protagonistes, les frères fusionnels Marceau et Ange, galopent dans la campagne sous l'orage qui foudroie un arbre qui écrase Marceau, le cadet le sauve comme l’aîné l'avait fait pour lui alors que le croup l'empêchait de respirer. Les cavaliers marqués par la domination et la puissance sont alors associés à la violence destructrice de l’orage, écho du thème central du roman, qui culmine dans la lutte fatale des deux frères.

Histoire

Dans le haut-pays provençal, la famille Jason s'illustre par la force de ses hommes et leur passion pour le sang et la violence (un ancêtre était le guillotineur du département à la Révolution). Au début du XXe siècle naissent trois frères dont l'un meurt à la guerre en 1917 et le roman se centre sur la relation très forte qui unit l'aîné Marceau, puissant et fasciné par le sang, et Ange, le beau cadet, au corps délié, beaucoup plus jeune (ils ont dix-sept ans d'écart). Ils sont maquignons, s'occupant de ventes de mules et de chevaux dont ils sont d'intrépides cavaliers.

Marceau fait démonstration de sa force en tuant un cheval fou d'un coup de poing et en remportant les luttes à la foire de Lachau, la ville des batailles. Il sauve la vie de son cadet en lui nettoyant la gorge encombrée par le croup dans une scène sanglante puis c'est au tour du cadet de délivrer son aîné emprisonné dans un arbre foudroyé lors d'une de leurs cavalcades sous l'orage. Ils en arrivent à une confrontation sans merci dans laquelle Marceau a le dessous : humilié, il tue son frère en l’éventrant de coups de serpe avant de se laisser mourir dans la montagne.

Éléments d'analyse

Deux cavaliers de l'orage offre des aspects multiples qui en font un repère dans l’œuvre de Jean Giono et dans la perception de son art et de son imaginaire.

  • Un roman de transition : la première mouture du roman date du dĂ©but des annĂ©es 1940 et l'auteur y amorce une transition stylistique avec une recherche de la concision qui prĂ©pare les Chroniques et qui tranche avec le premier Giono et sa dĂ©mesure, mĂŞme si celle-ci ne disparaĂ®t pas totalement comme on le constate dans des scènes Ă©piques (la lutte contre le croup du jeune frère, la cavalcade sous l'orage ou la lutte fratricide finale). S'y ajoute une transition thĂ©matique puisque le rapport homme-nature au cĹ“ur des Ĺ“uvres antĂ©rieures y cède Ă©galement partiellement la place au rapport entre les personnages Ă  la psychologie plus affinĂ©e, dans une narration longue qui crĂ©e les tenants de l'histoire en remontant aux gĂ©nĂ©rations passĂ©es[2]
  • Un roman rustique, situĂ© comme les premières Ĺ“uvres de Giono (Regain, Le chant du monde...) dans une communautĂ© paysanne du dĂ©but du XXe siècle dans les Alpes provençales. La vie quotidienne avec ses activitĂ©s rurales (agriculteurs, cadreur, maquignons, foires) constitue un arrière-plan rĂ©aliste auquel s'ajoutent les vies familiales ordinaires, avec une prĂ©sence forte des femmes qui restent des personnages de second plan.
  • Un roman de la sensualitĂ©, des corps nus et du contact avec une connotation homosexuelle constante entre les deux frères[3]. L'importance de cette ligne de force dans l’œuvre a beaucoup intĂ©ressĂ© la recherche universitaire[4] qui a notĂ© aussi la sexualitĂ© rĂ©currente dans le comportement de Violette la veuve (p. 145), les caresses entre Marceau qui porte le surnom Ă©vocateur de « l'Entier » et sa femme ValĂ©rie (« Celle-lĂ , si tu lui parles de caresse, elle fait comme s'il pleuvait et se met tout de suite la jupe sur la tĂŞte » p. 145) ou les notations concernant les rĂ©actions animales comme celles du bouc « debout comme un homme » (p. 187). Ce thème de la paire masculine est souvent repĂ©rable dans l’œuvre de Giono, par exemple dans Solitude de la pitiĂ©, Un de Baumugnes, Le Chant du monde ou Les grands chemins, trouve dans Deux cavaliers de l'orage son climax[5]
  • Un roman tragĂ©die parcouru par la passion pour la violence dĂ©mesurĂ©e et le sang qui conduit les protagonistes Ă  leur perte dans un engrenage qui rejoint les tragiques grecs et renvoie Ă  des personnages comme Ajax ou les Atrides[6]. La cĂ©lèbre et longue tirade de Marceau sur la fascination du sang offre des formules claires : « Il faudrait voir un homme qui saigne et le montrer dans les foires. Le sang est le plus beau des théâtres. » (p. 141) et la prĂ©sence constante du rouge et du sang colore tout le roman (scène fameuse du croup oĂą Marceau arrache des lambeaux sanguinolents dans la gorge de son frère p. 202, lecture divinatrice du sang sĂ©chĂ©, tuerie du cochon ou l'Ă©vocation de Lachau, « la ville rouge, la ville des batailles »). Les scènes de lutte qui scandent le texte (lutte Ă  la foire, combats des frères, scène violente oĂą Marceau tue un cheval fou d'un coup de poing) orientent aussi la lecture dans le sens de la tragĂ©die shakespearienne pleine de bruit et de fureur[7]. Une nouvelle conception philosophique se fait jour ainsi chez Jean Giono avec la première rĂ©daction du roman entre 1938 et 1942, au moment oĂą la guerre rĂ©apparaĂ®t, celle de la fascination du sang qui fait basculer les hommes comme le romancier l'a vĂ©cu dans sa propre expĂ©rience de la guerre en 1915-1918. C'est une vision pessimiste de la nature humaine qui admet « la sĂ©duction qu'exerce sur l'homme la violence, et plus spĂ©cifiquement de la violence comme divertissement, comme remède Ă  l'ennui »[8] : cette vision du « second Giono » s'affirmera dans d'autres Ĺ“uvres dont le meilleur exemple est Un roi sans divertissement.

Éditions

  • 1965 - Deux cavaliers de l'orage, Collection Blanche, Gallimard, Ă  Paris.
  • 1972 - Deux cavaliers de l'orage, Collection Folio n° 198, Gallimard, Ă  Paris.
  • 1983 - Deux cavaliers de l'orage, in "Jean Giono - Ĺ’uvres romanesques complètes", Tome VI (1227 pages), Gallimard , Bibliothèque de la PlĂ©iade, Édition Ă©tablie par Robert Ricatte avec la collaboration de Pierre Citron,Henri Godard, Janine et Lucien Miallet et Luce Ricatte, (ISBN 978-2-07-011071-1)

Notes et références

  1. Jean Giono et la « collaboration » : nature et destin politique Richard Goslan - article ; n°1 ; vol.54, pg 86-95
  2. Jean Giono Par Colette Trout et Derk Visser Ă©d. Rodopi 2006, p. 66 et suivantes
  3. « Un corps à corps où l'érotisme et l'agressivité se confondent » Les amants timides : où mènent les grands chemins dans trois romans de Giono par Pierre Tranouez, Littérature 1986, Numéro 62 ; p. 87
  4. Biographie de Pierre Citron (éd. Seuil, 1990, notice de Robert Ricatte dans l'éd. Pléiade, Le thème de l'inceste dans les Récits inachevés" et "Deux cavaliers de l'orage" de Jean Giono, thèse de Christine Bretonnier Université Paris-Sorbonne 2003 – Pour une érotique gionienne Philippe Arnaud éd. L'Harmattan 2000
  5. Jean Giono Par Colette Trout et Derk Visser éd. Rodopi 2006, p. 69 et suivantes : Amitié/fraternité : le couple masculin
  6. « L'impossible domination de la passion, dont les conséquences peuvent être fatales, constitue la trame dramatique de ce roman. » (p. 15) « Le sang, symbole de la violence criminelle, mais aussi lien héréditaire porteur des passions »Jean Giono: Violence et création Par Dominique Grosse éd L'Harmattan 2003 p. 107
  7. Éric Méchoulan et Marie-Pascale Huglo, « Le thème et l’exemple : le sang dans Deux Cavaliers de l’orage de Giono », Études françaises, vol. 32, no 2,‎ , p. 105-122 (lire en ligne)
  8. Retours du mythe: vingt études pour Maurice Delcroix – Luc Rasson On fait la vie avec le sang p. 184

Adaptation cinématographique

Film Les Cavaliers de l'orage, réalisé par Gérard Vergez d'après Deux cavaliers de l'orage de Jean Giono, avec Marlene Jobert, Gérard Klein et Vittorio Mezzogiorno. 1983 (97 min). L'adaptation n'est pas fidèle au roman : l'histoire a été transposée aux Dardanelles pendant la guerre de 1914-1918.

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