Commission philanthropique de Rennes
La Commission philanthropique de Rennes est un corps populaire rĂ©volutionnaire crĂ©Ă© Ă Rennes en marge des administrations locales de la RĂ©volution française pour assister un envoyĂ© du pouvoir central dans l'examen du sort des dĂ©tenus de toutes conditions subissant les conditions misĂ©rables des prisons de Rennes remplies par le rĂ©gime de la Terreur. Dans ce but, elle obtint la collaboration des juridictions en place ainsi que du ComitĂ© RĂ©volutionnaire de Rennes chargĂ© du mĂȘme objet, les comitĂ©s de cette espĂšce ayant, une fois rĂ©novĂ©s, tenu le rĂŽle de la Commission dans la plupart des villes. Ătablie le 20 vendĂ©miaire an III par un arrĂȘtĂ© de Jean-François Boursault (1750-1842), ReprĂ©sentant du Peuple envoyĂ© dans l'Ouest de la France avec mission de rĂ©tablir la paix civile, celui-ci en crĂ©a une autre Ă Saint-Brieuc dans un dĂ©partement voisin en nivĂŽse an III, puis, ayant quittĂ© la Bretagne, en thermidor Ă Avignon. Elle prit fin dĂ©but ventĂŽse an III son fondateur ayant quittĂ© le dĂ©partement pour rejoindre la Convention Ă Paris. Praticiens du droit, libres de tout opportunisme politique, se dĂ©fiant de l'arbitraire grand pourvoyeur des prisons, les commissaires proposĂšrent, Ă la maniĂšre de magistrats, un grand nombre de mesures de libĂ©ration ou, Ă dĂ©faut, d'adoucissement du rĂ©gime de dĂ©tention. Quoique chaque dĂ©tenu ait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© individuellement et sans discrimination, surtout sociale, un bilan global de son action peut ĂȘtre apprĂ©ciĂ© Ă travers le chiffre de 80 % de libĂ©ration des dĂ©tenus emprisonnĂ©s pour motifs politiques, de loin les plus nombreux.
Le fonctionnement
Deux jours aprĂšs sa crĂ©ation, la commission est « officialisĂ©e » Ă la mairie de Rennes dirigĂ©e alors par Leperdit ; les commissaires prĂȘtent serment individuellement. La commission se dote d'un bureau avec prĂ©sident, vice-prĂ©sident, trĂ©sorier et secrĂ©taire.
La commission n'exista guÚre plus d'un trimestre (161 jours), mais l'activité des vingt-deux Rennais répartis en quatre sections vouées aux divers lieux de détention fut intense : se réunissant presque tous les jours, la majorité de cette centaine de séances aboutit à 503 décisions individuelles concernant des détenus. à ces chiffres, il faut ajouter plusieurs mises en liberté surveillée de malades d'épidémie ainsi que des mises en pension d'enfants sortis des rangs des Vendéens.
Les lieux de détention de Rennes sont répartis par le sort aux quatre sections :
- La Tour de la Montagne (ex-tour le Bùt, rue des Fossés).
- La Maison de l'ĂgalitĂ© (couvent de la TrinitĂ©) et Le MĂ©en libre (asile)[1].
- Le Bon Pasteur (ancien couvent de femmes) et le dépÎt de mendicité.
- La Maison de Justice (ancien prieuré Saint-Michel) et la Maison de la Porte Marat (Porte Mordelaise).
Plusieurs de ces commissaires Ă©tant des praticiens du droit, les dĂ©cisions furent prises avec la rigueur habituelle des juristes et les arrĂȘtĂ©s furent dotĂ©s de motifs traduisant les principes qui animaient ces hommes et leur chef. De leur propre initiative, ils dotent la commission d'un greffe et y emploient trois personnes en particulier Ă la tenue des registres des sĂ©ances. Ces Rennais ne sortent pas de l'ombre pour cette mission puisque neuf se retrouvent dans la « liste des Rennais ayant fait acte de patriotisme entre le 15 novembre 1788 et le 9 avril 1789 »[2] ; d'autres ont Ă©tĂ© membres de la MunicipalitĂ© ou du ComitĂ© de Salut Public de 1793 et deux - Jacques ClĂ©ment Troyhard et Morel - ont Ă©tĂ© dĂ©putĂ©s supplĂ©ants Ă la Convention. Ils avaient Ă attĂ©nuer, autant que cela se pouvait, ce qu'il restait du passage de Carrier dans la ville, l'un des commissaires - le trĂ©sorier - ayant lui-mĂȘme Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© par ce citoyen de triste mĂ©moire.
Les commissaires rĂ©unis en assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale ont pris 330 arrĂȘtĂ©s aprĂšs avoir entendu lecture du rapport de la section concernĂ©e ; arrĂȘtĂ© proposant en conclusion une mesure soumise Ă l'approbation d'un des ReprĂ©sentants du Peuple. Celui-ci a toute libertĂ© d'infirmer cette recommandation, mais l'entĂ©rine dans la majoritĂ© des cas, soient 44 cas d'opposition sur 503. Cette approbation n'a lieu que plusieurs jours aprĂšs la sĂ©ance, voire deux ou trois semaines ou davantage ; avec comme signatures outre celle de Boursault, celle de Bollet, de Guermeur et de Guesno. ConformĂ©ment Ă l'efficacitĂ© coutumiĂšre de la commission philanthropique, ses arrĂȘtĂ©s portent en principe sur un ensemble de situations personnelles assez comparables du point de vue de la conclusion, jusqu'Ă 29 personnes pour un mĂȘme arrĂȘtĂ©. Ils sont d'un grand intĂ©rĂȘt pour l'historien en ce qu'ils sont prĂ©cisĂ©ment motivĂ©s et comportent l'essentiel du rapport produit par les commissaires. Vingt-neuf sĂ©ances ne concernant pas le sort de dĂ©tenus en particulier sont enregistrĂ©es par ailleurs. Ces archives sont conservĂ©es aux Archives dĂ©partementales d'Ille-et-Vilaine sous les cotes L 1555-1556, L 1135.
Les procédures
Les dĂ©tenus peuvent ĂȘtre l'objet de l'attention des commissaires lors de leurs visites de la prison, par interpellation, mais ils le sont plus souvent en adressant Ă la commission un placet appelĂ© pĂ©tition, Ă moins que ce ne soit un membre de leur famille ou la municipalitĂ© de leur domicile qui en prenne le soin, implorant les vertus des commissaires destinataires. Les sĆurs de Chateaubriand enfermĂ©es au Bon pasteur bĂ©nĂ©ficiĂšrent ainsi de nombreuses pĂ©titions d'origines diverses. AprĂšs une dĂ©cision de mise en libertĂ© rendue par un comitĂ© de la Convention dĂšs le 6 vendĂ©miaire an III, restĂ©e sans suite, c'est la commission philanthropique qui procĂšdent Ă leur libĂ©ration le 15 brumaire.
L'interrogatoire du prisonnier Ă propos de son identitĂ©, des faits reprochĂ©s, de son opinion politique et de sa situation sur le plan judiciaire, est suivi des vĂ©rifications qui semblent opportunes en vue de la dĂ©cision Ă prendre. Ces donnĂ©es et piĂšces jointes trĂšs rĂ©guliĂšrement recueillies et consignĂ©es permettent des dĂ©cisions appropriĂ©es et surtout dĂ©pourvues de l'arbitraire, celui-lĂ mĂȘme Ă l'origine de beaucoup de ces dĂ©tentions. En tant que piĂšces historiques, elles permettent une connaissance prĂ©cise des dĂ©tenus, dans leur diversitĂ© et dans la diversitĂ© des motifs d'incarcĂ©ration. Il apparaĂźt ainsi que la plupart des durĂ©es de dĂ©tention excĂ©daient six mois et mĂȘme davantage pour les dĂ©tenus de droit commun.
Les détenus et les propositions de libération
Les 503 cas examinĂ©s se composent de 24 enfants de moins de quinze ans, 140 femmes et 339 hommes. 387 se rattachent Ă une des infractions d'ordre politique, la principale Ă©tant la chouannerie ou la complicitĂ© de chouannerie, avant la classe bien floue des « suspects » (102 cas), non compris les dĂ©lits d'opinion, les propos anti-rĂ©volutionnaires et les refus de prĂȘter le serment civique pour un fonctionnaire (10 cas). Les militaires comptent pour 43 cas, principalement des actes d'insoumission et des dĂ©sertions. De ce cĂŽtĂ©, 15 pour cent, ou 61 dĂ©tenus libĂ©rĂ©s, l'ont Ă©tĂ© avec l'engagement de rejoindre les armĂ©es de la RĂ©publique, qu'ils soient dĂ©jĂ militaires ou soupçonnĂ©s de chouannerie. Enfin une fois Ă©cartĂ©s 47 dĂ©tenus aux motifs d'incarcĂ©ration incertains, restent 20 prisonniers de droit commun (4 %).
Les commissaires ont proposĂ© et quasiment obtenu 395 libĂ©rations, soit 79 % des cas examinĂ©s, avec 67 pour cent qui ne sont assorties d'aucune condition comme celle de rejoindre l'armĂ©e, un doute subsistant sur le patriotisme des autres et donc sur le danger que le dĂ©tenu prĂ©sente encore pour la RĂ©publique. Ce taux est logiquement plus faible pour les nobles susceptibles d'ĂȘtre libĂ©rĂ©s (46,5 %). La formation juridique leur a permis de considĂ©rer, sans arbitraire et en enquĂȘtant autant que nĂ©cessaire, que 97 personnes avaient Ă©tĂ© privĂ©es de libertĂ© sans base pĂ©nale, en particulier par un mauvais usage de la loi du 17 septembre 1793 sur les suspects ; nombre dans lequel interviennent cependant une cinquantaine de laboureurs uniquement emprisonnĂ©s par un certain adjudant gĂ©nĂ©ral Marcheret pour rendre crĂ©dible une histoire inventĂ©e Ă son avantage. De mĂȘme, pour les quelques personnes dĂ©jĂ jugĂ©es notamment par le Tribunal criminel d'Ille-et-Vilaine, les commissaires vĂ©rifient les jugements et peuvent les rĂ©viser en considĂ©rant des circonstances attĂ©nuantes trop faiblement apprĂ©ciĂ©es, comme la jeunesse du prĂ©venu ou la primo-dĂ©linquance.
Rompant avec les agissements de la Terreur, les commissaires cherchĂšrent Ă rallier Ă la RĂ©publique par l'effet de leur conduite elle-mĂȘme, censĂ©e la reprĂ©senter dans ses vertus et particuliĂšrement par la modĂ©ration quelque peu bafouĂ©e depuis des mois et annĂ©es. Pour les divers motifs de dĂ©tention liĂ©s Ă la religion, la commission fait preuve de comprĂ©hension, de relativisation en fonction des cas et des faits attestĂ©s : aux deux extrĂȘmes, les religieuses sont pour la plupart libĂ©rĂ©es comme utiles socialement tandis que, chez les prĂȘtres, n'est pas sous-estimĂ© le risque d'entretenir Ă nouveau le climat de sĂ©dition.
Le souci d'humanitĂ©, celui mĂȘme qui a motivĂ© la naissance de la commission, porte naturellement ses membres Ă l'indulgence face Ă tout prisonnier et ceci Ă proportion de la faiblesse ou fragilitĂ© supposĂ©e comme celle liĂ©e Ă l'Ăąge, avancĂ© ou tendre, en ce qu'elle attĂ©nue tant la culpabilitĂ© (circonstances attĂ©nuantes) que le risque d'un renouvellement des faits reprochĂ©s (vu la punition dĂ©jĂ subie en dĂ©tention). PenchĂ©s sur le sort de chacun, le principe d'individualisation des peines leur permet de maintenir la rigueur - Ă©galitĂ© devant la loi pĂ©nale - dans leur conclusion en la particularisant raisonnablement. De ce point de vue, 96,4 % des femmes suscitent une proposition de libĂ©ration, contre 60 % pour les hommes une fois retirĂ©es les libĂ©rations au bĂ©nĂ©fice de l'armĂ©e (13 %). L'Ă©tat de santĂ© se range aussi, en pratique, dans les critĂšres d'apprĂ©ciation de la faiblesse, en quelque sorte vitale, comme premier sujet d'inquiĂ©tude du dĂ©tenu, bien avant l'intĂ©rĂȘt politique. La condition de la famille et l'intĂ©rĂȘt du retour du dĂ©tenu interviennent Ă©galement. C'est la conjugaison de ces critĂšres qui explique entiĂšrement le taux de libĂ©ration Ă©levĂ© des ex-nobles incarcĂ©rĂ©s, taux supĂ©rieur Ă la plupart des autres catĂ©gories socioprofessionnelles : les 94 prisonniers ex-nobles sont principalement des femmes et des vieillards arrĂȘtĂ©s au motif d'ĂȘtre parents d'Ă©migrĂ©.
Sources
- Claude Champaud, Une tentative de pacification des esprits en 1794 - la Commission philanthropique de Rennes, Travaux juridiques et économiques de l'Université de Rennes, Tome XXIII, 1961.
Notes et références
- Source muette par défaut de l'édition : déduit du complément sur les prisons rennaises de l'époque, p. 127.
- Cochin, « Les sociétés de pensée et la Révolution en Bretagne »