Clientélisme
Le clientélisme est un systÚme d'échanges interpersonnels non marchands de biens et de services échappant à tout encadrement juridique, entre des individus disposant de ressources inégales (le « patron » et ses « clients »)[1] - [2]. Malgré une vision justifiée largement répandue du caractÚre antidémocratique du clientélisme, notamment en politique[3], il convient d'affirmer que le clientélisme est également un moyen de politiser les populations[4] - [5], mais aussi de pallier le déficit d'implantation des services publics ou de réduire les inégalités[5].
Typologie
Jean-François MĂ©dard distingue deux types de clientĂ©lisme : formel â quand il est codifiĂ© comme le cas du fĂ©odalisme â et informel â aussi appelĂ© patronage[6]. Le clientĂ©lisme peut prendre la forme du favoritisme lorsque le « patron » cherche Ă Ă©largir sa sphĂšre d'influence par l'octroi d'avantages indus.
Le clientĂ©lisme comme concept doit ses origines Ă des recherches, au sein de lâanthropologie sociale au Royaume-Uni, au dĂ©but des annĂ©es 1950. Cependant, la rĂ©flexion sur le clientĂ©lisme demeure marginale dans la plupart des travaux car elle se focalise uniquement sur un questionnement gĂ©nĂ©ral de la dĂ©termination dâun ordre politique et de ses fonctions globales.
Ă la fin des annĂ©es 1960, la dĂ©finition du clientĂ©lisme, notamment celle de Jean-François MĂ©dard, se dĂ©veloppe au sein des milieux acadĂ©miques, comme fruit dâun accord, lorsque les recherches sur le clientĂ©lisme se sont dĂ©veloppĂ©es dans les sciences sociales et politiques[7].
Lorsque Alain Garrigou, professeur en science politique, analyse le processus de politisation sous la IIIe RĂ©publique, il affirme que le clientĂ©lisme politique se propage en mĂȘme temps que le droit du suffrage et quâil aide, paradoxalement, Ă lâapprentissage et Ă lâacceptation de lâacte Ă©lectoral. La dynamique de la concurrence politique va conduire les rĂ©publicains Ă dĂ©noncer la mainmise des notables sur les Ă©lecteurs. Pourtant, mĂȘme si les rĂ©publicains sont les derniers Ă ĂȘtre entrĂ©s dans le champ politique, ils nâen sont pas moins amenĂ©s Ă les concurrencer en crĂ©ant leurs propres rĂ©seaux clientĂ©laires, reposant sur une savante exploitation des ressources que procure le contrĂŽle de lâĂtat et du parlement[8].
Antiquité
Rome antique
L'origine du clientĂ©lisme peut ĂȘtre retracĂ©e depuis la Rome antique. Ă cette Ă©poque, les relations entre le patron et le client Ă©taient considĂ©rĂ©es cruciales pour comprendre le processus politique. Bien que leurs obligations les uns envers les autres soient rĂ©ciproques, le point essentiel est qu'elles Ă©taient hiĂ©rarchiques.
Le clientélisme est la relation qui à Rome unissait un patron à son client. Le client (« celui qui obéit »), individu de position sociale modeste, se mettait sous la protection du riche patron, qui lui assurait une aide matérielle réguliÚre en échange de divers services : appui électoral, accompagnement au forum, soutien lors des procÚs[9].
Lors de la crise de la République romaine, les démagogues se constituaient des clientÚles nombreuses, et transformaient parfois leurs apparitions au forum en manifestations réunissant plusieurs centaines de personnes.
Mawla
Dans le monde arabe, aux premiers siÚcles de l'islam, les tribus possédaient des esclaves qu'ils affranchissaient assez souvent ; ceux-ci devenaient alors des mawùlß (pluriel de mawlù') ou clients du personnage dont ils avaient été l'esclave[10] - [11]. Ainsi, des gens de l'extérieur venaient agrandir le groupe. Cette pratique largement utilisée dans les pays conquis joua un rÎle essentiel dans le mouvement d'intégration des conquérants minoritaires dans les zones dominées.
Les habitants libres de la région une fois convertis, ou bien des esclaves, devenaient des clients de la tribu et recevaient ainsi des charges importantes de la part des chefs de clans et, parfois, pouvaient atteindre rapidement des postes de responsabilité et un rang social élevé.
DĂ©finition politique
Le clientélisme s'entend ici comme une faveur injustifiée accordée à une personne, souvent en échange de son vote. Le clientélisme politique fait partie de pratiques informelles et illégales, et sont largement considérées comme antidémocratiques, faussant le jeu d'élections libres[12]. Les députés français sont ainsi parfois accusés de clientélisme en faveur de leurs administrés locaux, en faisant pression sur le gouvernement pour l'obtention de crédits en faveur de leur circonscription.
Dans bien des régions les liens de clientÚle politique basés sur le service rendu passent d'une génération à l'autre, c'est le clanisme comme en Corse. Si le lien est fondé sur la contrainte économique ou la violence, on appelle cela du caciquisme.
Le clientĂ©lisme politique, comme le dĂ©finit Anticor, repose sur un Ă©change entre le « client » et lâĂ©lu pouvant ĂȘtre rĂ©sumĂ©s de la maniĂšre suivante: câest lâidĂ©e dâun pacte sâinscrivant dans la durĂ©e avec, dâun cĂŽtĂ©, un apport de voix et parfois une aide militante et, de lâautre, un emploi, un service ou encore une subvention Ă une association. Ainsi lâĂ©change nâaura de sens uniquement si lâavantage quâil procure au « client » repose sur lâarbitraire de lâĂ©lu, le « client ». Le contrĂŽle nâest gĂ©nĂ©ralement pas transparent. On peut prendre ici lâexemple des associations subventionnĂ©es par les mairies qui devront prendre parti au moment des Ă©lections. La subvention Ă ce titre est le levier politique par excellence. En affichant son soutien Ă lâĂ©lu, lâassociation est assurĂ©e du renouvellement de ces subventions si lâĂ©quipe est reconduite. Dans le cas contraire, elle risque de tout perdre. Le clientĂ©lisme apparaĂźt ainsi comme une zone grise dont la frontiĂšre avec la corruption est abstraite, mais il nâest pas considĂ©rĂ© comme illĂ©gal[13].
Par ailleurs, les termes de corruption et de clientĂ©lisme sont souvent accolĂ©s lâun Ă lâautre. Donatella Della Porta[14] fait la distinction entre le clientĂ©lisme, qui doit ĂȘtre perçu comme un Ă©change de faveurs contre des suffrages Ă©lectoraux, et la corruption politique qui est dĂ©finie comme un troc ou des dĂ©cisions politiques contre argent.
Le clientĂ©lisme politique constitue Ă la fois un mode de fonctionnement mais Ă©galement de dysfonctionnement de lâĂ©tat car il constitue la nĂ©gation des valeurs qui fondent lâĂtat et la dĂ©mocratie. Câest la distinction public/ privĂ© qui est ici en jeu. En effet, lorsquâil y a interfĂ©rence entre un Ă©change social de nature privĂ©e avec le domaine public (distinction entre le politique et lâadministratif), il sâagit dâune forme de corruption ne relevant pas de lâĂ©change Ă©conomique mais de lâĂ©change social. Cela relĂšve donc du clientĂ©lisme au mĂȘme titre que le copinage politique ou le nĂ©potisme.
La distinction entre clientélisme politique et corruption économique est une distinction analytique. Il est en effet difficile de les distinguer dans la réalité car souvent imbriquées.
La corruption Ă©conomique nâa pas quâune fin Ă©conomique puisquâelle permet dâentretenir la clientĂšle politique nĂ©cessaire Ă la survie politique des dirigeants.
Cependant, les liens sociaux qui constituent les rapports de clientĂšles ont pu ĂȘtre dĂ©truit par la corruption incontrĂŽlĂ©e.
Aussi, le clientĂ©lisme politique est instrumentalisĂ© par la corruption Ă©conomique. En effet, D. Della Porta dĂ©crit dâun cercle vicieux clientĂ©lisme-corruption-clientĂ©lisme dans lequel le clientĂ©lisme et la corruption vont dans les deux sens, câest-Ă -dire que le clientĂ©lisme pousse Ă la corruption et que la corruption pousse au clientĂ©lisme.
Différentes formes
Construction dâun territoire
Le clientĂ©lisme produit une division de lâespace selon une diffĂ©renciation sociale de distribution au sein dâun mĂȘme territoire. Elle fait rĂ©fĂ©rence Ă des politiques qui tendent dĂ©libĂ©rĂ©ment Ă crĂ©er des sĂ©parations, des mises Ă lâĂ©cart, des territoires particuliers. Elle soulĂšve la question de la capacitĂ© des agents Ă nĂ©gocier leur marge de manĆuvre, Ă dĂ©velopper des stratĂ©gies pour Ă©chapper ou accepter leur positionnement dans cette construction du territoire.
Dans lâaction publique
En effet, au sein mĂȘme de lâaction publique le clientĂ©lisme est prĂ©sent : au sein des associations, des organisations territoriales et des agents qui les constituent.
De quelle maniĂšre le clientĂ©lisme sâest Ă©tendu Ă chacune des sphĂšres des individus, quâils soient patrons ou clients ?
Le clientélisme est donc présent dans chacune des sphÚres, privés ou individuelles, clients ou patrons.
Clientélisme de marché
Ă la base on parle de clientĂ©lisme dans lâaction dâun Ă©change entre deux personnes qui trouvent un compte plus ou moins Ă©levĂ© selon sâils sont patrons ou clients. En termes dâĂ©conomie, le clientĂ©lisme est Ă©troitement liĂ© au marchĂ© de production, quâil fait fonctionner.
On peut Ă©galement parler de clientĂ©lisme de marchĂ© politique : on Ă©change des votes contre des promesses dâinterventions publiques[15].
Clientélisme politique
Lorsque la caste politique prend des dĂ©cisions afin de plaire Ă sa base Ă©lectorale sans Ă©gards aux consĂ©quences que cela aura sur le reste de la population, mĂȘme si celle-ci reprĂ©sente la majoritĂ©.
Causes et conséquences : débats scientifiques
Le clientĂ©lisme est compliquĂ© Ă examiner en France, notamment Ă cause du manque de donnĂ©es. Il nâest pas dans lâintĂ©rĂȘt de tous, au sein des universitĂ©s, de fournir des coĂ»ts, des noms, des lieux. De plus, il est toujours possible pour les Ă©lus de se dĂ©fendre du clientĂ©lisme en Ă©voquant des actes de solidaritĂ© ou dâamitiĂ©[16]. Il est courant de se servir dâune dĂ©finition non prĂ©cise du clientĂ©lisme pour sâen soustraire. Câest pourquoi le travail de journalisme dâinvestigation est primordial pour analyser au mieux ces phĂ©nomĂšnes.
Le clientĂ©lisme se retrouve dans le contexte dâune Ă©conomie dĂ©veloppĂ©e au sein de laquelle domine le secteur public. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la France se reconstruit et se repose principalement sur les Ă©coles, les hĂŽpitaux, les logements sociaux, ainsi ce qui peut ĂȘtre bĂ©nĂ©fique Ă la population, et devenir le contexte idĂ©al pour les phĂ©nomĂšnes clientĂ©listes. Aujourdâhui, cela se traduit davantage par lâattribution de subventions publiques[17].
Dans les travaux de sociologie du clientĂ©lisme, on Ă©voque Ă©galement la construction du systĂšme. Il ne sâagit pas dâindividus construisant le systĂšme par ces avantages, mais bien des rouages anciens qui perdurent. Les pratiques du clientĂ©lisme ont tout intĂ©rĂȘt Ă ĂȘtre prĂ©servĂ©es dans le systĂšme, qui se fait ainsi sĂ©lectionneur de ses acteurs, et non pas les acteurs façonnant le systĂšme. Il existe un renouvellement politique mais la structure demeure identique.
La frontiĂšre entre clientĂ©lisme et corruption est difficile Ă Ă©tablir, de mĂȘme que la frontiĂšre entre lĂ©galitĂ© et illĂ©galitĂ©[18]. Ces deux phĂ©nomĂšnes peuvent ĂȘtre dus au mauvais fonctionnement des dĂ©mocraties. En effet, lorsquâune minoritĂ© sâexprime en faveur dâune certaine personne politique grĂące Ă la garantie du clientĂ©lisme, une minoritĂ© qui le subit est rĂ©duite au silence. Pour pallier ce problĂšme, la question du vote est essentielle. Câest en sâexprimant contre des personnes faisant appel au clientĂ©lisme, et faisant ainsi marcher les fondamentaux de la dĂ©mocratie. De plus, le risque de sĂ©grĂ©gation s'accroĂźt dĂ» Ă la pratique du clientĂ©lisme. Lorsque les offres dâavantage sont infĂ©rieures aux demandes, les votes se tournant vers lâextrĂȘmeâdroite sâaccumulent.
Notes et références
- Jean-Louis Briquet et Frédéric Sawicki, Introduction, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-049554-3, lire en ligne)
- « clientélisme », sur universalis.fr
- Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, (ISBN 978-2-13-049554-3, lire en ligne)
- Alain Garrigou, Le clientĂ©lisme politique dans les sociĂ©tĂ©s contemporaines, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-049554-3, lire en ligne), p. 39â74
- Camille Goirand, Le clientĂ©lisme politique dans les sociĂ©tĂ©s contemporaines, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-049554-3, lire en ligne), p. 111â144
- MĂ©dard [1976], p. 118.
- Jean-Louis Briquet, Clientélisme politique dans les sociétés modernes, Presses universitaires de France, coll. « Politique d'aujourd'hui », , p. 6-7
- Jean-François MĂ©dard, « Le rapport de clientĂšle:du phĂ©nomĂšne social Ă l'analyse politique », Revue française de science et politique,â , p. 103-119
- « Définition : Clientélisme », sur www.toupie.org (consulté le )
- Sobhi Bouderbala, « Les aáž„bÄs de FusáčÄáč aux deux premiers siĂšcles de lâHĂ©gire : entre pratiques socio-Ă©conomiques et normalisation juridique », MĂ©diĂ©vales, vol. 64, no 64,â , p. 37â55 (ISSN 0751-2708, DOI 10.4000/medievales.6937, lire en ligne, consultĂ© le )
- Olivier CarrĂ©, Chapitre VI. La sociĂ©tĂ© islamique, sociĂ©tĂ©, sui generis selon le áșilĂąl, (lire en ligne), p. 24
- Jean-Louis Briquet et FrĂ©dĂ©ric Sawicki, Le clientĂ©lisme politique dans les sociĂ©tĂ©s contemporaines, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-049554-3, lire en ligne), p. 1â5
- Jean-François MĂ©dard, « ClientĂ©lisme politique et corruption », Tiers monde,â , p. 77-87
- D.Della Porta, « Les cercles vicieux de la dĂ©mocratie », La dĂ©couverte,â , p. 44
- « le clientĂ©lisme et lâaction publique territorialisĂ©e »
- Jean-Louis Briquet, Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Presses universitaires de France, , 336 p.
- Philippe Sanmarco, « Le clientĂ©lisme, comment ça marche? », UniversitĂ© d'Aix-Marseille,â
- Philippe Bonfils, Laurent Muchielli et Adrien Roux, « Comprendre et lutter contre la corruption », Presses universitaires d'Aix-Marseille,â
Voir aussi
Bibliographie
- Jean-François Médard [1976], « Le rapport de clientÚle : du phénomÚne social à l'analyse politique », Revue française de science politique, 26e année, no 1, p. 103-131, voir en ligne sur Persée
- Tafani Pierre, « Du clientélisme politique », Revue du MAUSS, 2005/1 (no 25), p. 259-286
- Jean-Louis Briquet et Frédéric Sawicki, Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Presses Universitaires de France, 1998
Article connexe
Liens externes
- Clientélisme en Provence-Alpes-CÎte d'Azur (intervention de Philippe Sanmarco, divers gauche, membre du Conseil régional de cette région).
- Le clientélisme en question, un tutoriel proposé par le journal Le Ravi, .