Assassinat d'InejirĆ Asanuma
L'assassinat d'InejirĆ Asanuma, prĂ©sident du Parti socialiste japonais, est survenu le 12 octobre 1960 lors d'un dĂ©bat public tĂ©lĂ©visĂ© Ă Tokyo. Un ultranationaliste de droite de 17 ans du nom d'Otoya Yamaguchi monte sur scĂšne et poignarde Asanuma Ă l'aide d'un wakizashi, type d'Ă©pĂ©e courte traditionnelle.
Assassinat d'InejirĆ Asanuma | |
Localisation | Hibiya Public Hall, Chiyoda, Tokyo, Japon |
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Cible | InejirĆ Asanuma |
Date | 15 h 5 (UTC+9) |
Type | Assassinat |
Armes | Wakizashi |
Morts | InejirĆ Asanuma |
Auteurs | Otoya Yamaguchi |
Cet assassinat affaiblit le Parti socialiste japonais, inspire une série de crimes similaires et fait de Yamaguchi une figure de l'ultranationalisme japonais.
Contexte
Asanuma Ă©tait une figure charismatique de la gauche japonaise. En 1959, Asanuma avait suscitĂ© l'indignation au Japon en visitant la Chine communiste et en dĂ©clarant les Ătats-Unis "l'ennemi commun de la Chine et du Japon" lors d'un discours Ă PĂ©kin.
Ă son retour au Japon, Asanuma est devenu l'un des principaux dirigeants et principaux visages publics des manifestations contre l'Anpo contre le traitĂ© de sĂ©curitĂ© amĂ©ricano-japonais, menant un certain nombre de marches de masse sur la DiĂšte nationale japonaise. Des groupes et des individus dâextrĂȘme-droite, tels que Bin Akao et son Parti patriotique du Grand Japon (en) (性æ„æŹæćœć , Dai Nippon Aikoku TĆ), sont devenus convaincus que les manifestations massives de gauche Ă©taient un signe que le Japon Ă©tait au bord d'une rĂ©volution communiste et mobilisĂ©s pour Ă©viter une telle Ă©ventualitĂ©.
Akao et le Parti patriotique du Grand Japon faisaient partie d'un segment important de lâextrĂȘme-droite japonaise qui Ă©tait extrĂȘmement pro-Ătats-Unis et donc fortement en faveur de l'alliance militaire amĂ©ricano-japonaise (en). Akao et d'autres qui partageaient sa vision du monde Ă©taient donc doublement en colĂšre contre Asanuma pour avoir prĂ©sentĂ© les Ătats-Unis comme le principal ennemi du Japon lors de son voyage en Chine et pour s'ĂȘtre si activement opposĂ© au traitĂ© de sĂ©curitĂ©.
Assassin
Otoya Yamaguchi, le fils d'un officier de haut rang des Forces d'autodĂ©fense japonaises, avait rejoint le Parti patriotique du Grand Japon de Bin Akao au milieu de l'adolescence aprĂšs avoir Ă©tĂ© radicalisĂ© par son frĂšre aĂźnĂ©. Pendant les manifestations d'Anpo, il avait participĂ© Ă un certain nombre de contre-manifestations de droite du groupe et avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et libĂ©rĂ© 10 fois au cours de 1959 et 1960.
Selon son tĂ©moignage ultĂ©rieur Ă la police, Otoya a affirmĂ© qu'au cours des manifestations d'Anpo, il s'Ă©tait encore plus radicalisĂ© et dĂ©sillusionnĂ© par le leadership d'Akao, qui, selon lui, n'Ă©tait pas assez radical. En mai 1960, il dĂ©missionne du groupe d'Akao afin d'ĂȘtre libre d'une action plus "dĂ©cisive".
Assassinat
Le 12 octobre 1960, Asanuma participait à un débat électoral télévisé au Hibiya Public Hall dans le centre de Tokyo, mettant en vedette les dirigeants des trois principaux partis politiques. Suehiro Nishio (en) du Parti démocrate socialiste et l'actuel Premier ministre Hayato Ikeda du Parti libéral-démocrate au pouvoir étaient également programmés pour participer. Le débat a été parrainé par la Commission électorale japonaise, l'Alliance pour des élections propres et le diffuseur national NHK, qui a également télédiffusé l'événement. 2500 personnes étaient également présente dans le public.
Nishio parla le premier ; Ă 15 h 0, Asanuma s'est avancĂ© vers le podium et a commencĂ© son discours. ImmĂ©diatement, des factions dâextrĂȘme-droite dans le public ont commencĂ© Ă le chahuter bruyamment, au point que les microphones de la tĂ©lĂ©vision et mĂȘme les journalistes assis au premier rang ne pouvaient pas comprendre ce qu'il essayait de dire, forçant le modĂ©rateur de la NHK Ă l'interrompre et Ă appeler au calme. Ă 15 h 5, alors que le public se calmait enfin et qu'Asanuma reprenait la parole, Yamaguchi s'est prĂ©cipitĂ© sur scĂšne et a fait une profonde poussĂ©e dans le flanc gauche d'Asanuma avec un wakizashi volĂ© Ă son pĂšre. Yamaguchi a alors essayĂ© de retourner l'Ă©pĂ©e contre lui-mĂȘme mais a Ă©tĂ© contenu et retenu par lâassistance.
Asanuma a Ă©tĂ© immĂ©diatement conduit hors du hall et dans un hĂŽpital voisin. Au dĂ©part, tout le monde pensait qu'Asanuma sâen sortirait du fait de son embonpoint qui faisait qu'aucun saignement n'Ă©tait visible. Cependant, lâattaque avait perforĂ© lâaorte et Asanuma est dĂ©cĂ©dĂ© en quelques minutes des suites dâune hĂ©morragie interne massive. Il Ă©tait dĂ©jĂ mort Ă son arrivĂ©e Ă l'hĂŽpital.
Conséquences
Discours commémoratif d'Ikeda
L'administration Ikeda avait eu le vent en poupe avant le débat électoral. Le plan de doublement des revenus récemment annoncé par Ikeda s'est avéré populaire et les sondages ont montré que son parti était en position de force à l'approche des élections. Cependant, la nuit de l'assassinat d'Asanuma, environ 20 000 manifestants ont spontanément inondé les rues de Tokyo appelant à la démission de l'ensemble du cabinet Ikeda afin d'assumer la responsabilité de ne pas avoir assuré la sécurité d'Asanuma. Ikeda et ses conseillers craignaient qu'un nouveau mouvement de protestation puisse naßtre qui serait la seconde venue des manifestations d'Anpo qui avaient renversé le cabinet de son prédécesseur immédiat Nobusuke Kishi.
Pour rĂ©pondre Ă la crise, Ikeda a pris la mesure inhabituelle de prononcer personnellement un discours commĂ©moratif pour son ancien adversaire Asanuma lors d'une sĂ©ance plĂ©niĂšre de la DiĂšte le 18 octobre. Les membres de la DiĂšte du Parti socialiste se sont opposĂ©s vocalement au discours, et Ikeda avait la rĂ©putation d'ĂȘtre maladroit avec ses mots et en tout cas on ne s'attendait pas Ă ce qu'il dise plus que quelques mots superficiels dans un court discours passe-partout. Cependant, Ikeda a surpris tout le monde en prononçant un long discours dans lequel il a offert une Ă©valuation Ă©loquente et gĂ©nĂ©reuse de l'amour d'Asanuma pour son pays et le peuple japonais et son Ă©thique de travail acharnĂ©. Ce discours allait devenir l'un des discours de DiĂšte les plus cĂ©lĂšbres de la pĂ©riode d'aprĂšs-guerre et aurait Ă©mu de nombreux membres de la DiĂšte aux larmes.
Le parti d'Ikeda a remporté les élections, augmentant en fait le nombre de siÚges qu'il détenait à la DiÚte, bien que le Parti socialiste japonais d'Asanuma ait également bien fait.
Emprisonnement et suicide de Yamaguchi
AprĂšs l'assassinat, Yamaguchi a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et emprisonnĂ© dans l'attente de son procĂšs. Tout au long de son emprisonnement, il est restĂ© calme et a librement tĂ©moignĂ© Ă la police. Yamaguchi a constamment affirmĂ© qu'il avait agi seul et sans aucune directive des autres. Enfin, le 2 novembre, il Ă©crit sur le mur de sa cellule Ă l'aide de dentifrice : "Vive l'Empereur" et "Si j'avais sept vies Ă donner pour mon pays" (äžçć ±ćœ, shichisei hĆkoku), ce dernier faisant rĂ©fĂ©rence aux cĂ©lĂšbres derniers mots du samouraĂŻ du quatorziĂšme siĂšcle Kusunoki Masashige, et s'est pendu avec des draps nouĂ©s.
HĂ©ritage
DĂ©clin du Parti socialiste japonais
Le Parti socialiste japonais avait Ă©tĂ© un mariage malheureux entre des socialistes d'extrĂȘme gauche, des socialistes centristes et des socialistes de droite, qui avaient Ă©tĂ© forcĂ©s de s'unir pour s'opposer Ă la consolidation des partis conservateurs dans le Parti libĂ©ral-dĂ©mocrate en 1955. Asanuma avait Ă©tĂ© une figure charismatique qui avait Ă©tĂ© capable de maintenir ensemble bon nombre de ces factions antagonistes par la force de sa personnalitĂ©. Sous la direction d'Asanuma, le parti avait remportĂ© un nombre croissant de siĂšges Ă la DiĂšte Ă chaque Ă©lection au cours de la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1950 et semblait prendre de l'ampleur. La mort d'Asanuma a privĂ© le parti de son leadership adroit et a poussĂ© SaburĆ Eda (en) dans le rĂŽle de leader Ă la place. Eda a rapidement entraĂźnĂ© le parti dans une direction plus centriste, bien plus vite que les socialistes de gauche n'Ă©taient prĂȘts Ă l'accepter. Cela a conduit Ă des luttes internes croissantes au sein du parti et a considĂ©rablement endommagĂ© sa capacitĂ© Ă prĂ©senter un message cohĂ©rent au public. Au cours du reste des annĂ©es 1960 et au-delĂ , le nombre de siĂšges que les socialistes dĂ©tenaient Ă la DiĂšte a continuĂ© de baisser jusqu'Ă l'extinction du parti en 1996.
TĂ©lĂ©vision, romans de KenzaburĆ Će et attaques similaires
Parce que l'assassinat d'Asanuma a eu lieu devant des camĂ©ras de tĂ©lĂ©vision, il a Ă©tĂ© diffusĂ© Ă plusieurs reprises durant les semaines suivantes et a Ă©tĂ© vu trĂšs largement au Japon. Par ailleurs, quelques semaines aprĂšs l'assassinat, l'auteur laurĂ©at du prix Nobel KenzaburĆ Će a publiĂ© deux nouvelles, Dix-sept (Seventeen) et Mort d'un jeune militant (Seventeen, suite et fin) manifestement inspirĂ©es par le crime de Yamaguchi, bien que celui-ci n'y soit pas expressĂ©ment nommĂ©.
Lâattaque de Yamaguchi et la publicitĂ© massive qu'il a reçue ont inspirĂ© une vague dâimitations, alors qu'un certain nombre de personnalitĂ©s politiques sont devenues la cible de complots dâextrĂȘme-droite et de tentatives d'assassinat au cours des annĂ©es suivantes. En particulier, une tentative d'assassinat de l'Ă©diteur du magazine ChĆ«Ć KĆron en fĂ©vrier 1961 par le jeune dâextrĂȘme-droite Kazutaka Komori, alors Ă©galement ĂągĂ© 17 ans, aurait Ă©tĂ© directement inspirĂ©e par les actions de Yamaguchi.
Photographie de Yasushi Nagao

Une cĂ©lĂšbre photographie du moment juste aprĂšs que Yamaguchi ait poignardĂ© Asanuma a Ă©tĂ© prise par le photographe du journal Mainichi shinbun Yasushi Nagao, qui avait Ă©tĂ© chargĂ© de couvrir le dĂ©bat. Alors que Yamaguchi se prĂ©cipitait vers Asanuma, Nagao a instinctivement ajustĂ© la distance focale de son objectif de 5 Ă 3 mĂštres et a capturĂ© une image extrĂȘmement claire de l'assassinat. La photographie de Nagao a remportĂ© le prix World Press Photo of the Year en 1960 et a remportĂ© le prix Pulitzer en 1961. Aujourd'hui, on la trouve encore dans les collections comme l'une des meilleures photographies du 20e siĂšcle. La photographie a rendu Nagao cĂ©lĂšbre et lui a permis de quitter le Japon et de parcourir le monde Ă une Ă©poque oĂč les japonais n'Ă©taient gĂ©nĂ©ralement pas autorisĂ©s Ă voyager Ă l'Ă©tranger. Il a pu quitter son emploi chez Mainichi en 1962 et transformer sa renommĂ©e en une carriĂšre de photographe indĂ©pendant.
Yamaguchi devient un martyr
Yamaguchi est immĂ©diatement devenu un hĂ©ros et un martyr des ultranationalistes de droite japonais. Le 15 dĂ©cembre 1960, un grand nombre de groupes de droite se sont rĂ©unis dans la mĂȘme salle publique de Hibiya oĂč l'assassinat a eu lieu pour organiser un "service commĂ©moratif national pour notre frĂšre martyr Yamaguchi Otoya". Les groupes de dâextrĂȘme-droite ont continuĂ© Ă commĂ©morer Yamaguchi chaque annĂ©e le 2 novembre, l'anniversaire de son suicide, avec un Ă©vĂ©nement particuliĂšrement important le 2 novembre 2010 pour le 50e anniversaire de sa mort.
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalitĂ© issu de lâarticle de WikipĂ©dia en anglais intitulĂ© « Assassination of InejirĆ Asanuma » (voir la liste des auteurs).