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Accord entre le Luxembourg et le Portugal relatif Ă  l'emploi des travailleurs portugais au Luxembourg

Le 20 mai 1970, le Grand-DuchĂ© du Luxembourg et la RĂ©publique du Portugal ont signĂ© un accord bilatĂ©ral portant sur le recrutement des travailleurs portugais vers le Luxembourg. D’abord signĂ© Ă  Lisbonne, l’accord est ratifiĂ© le 11 avril 1972 par la Chambre des dĂ©putĂ©s luxembourgeoise[1]. Cet accord pose les fondements concernant l’immigration massive des Portugais vers le Grand-DuchĂ© et reprĂ©sente le premier recrutement actif de la part du gouvernement luxembourgeois dans le domaine de l’immigration[2].

Contexte historique

Alors que le Grand-DuchĂ© a longuement bĂ©nĂ©ficiĂ© de l'essor industriel liĂ© Ă  la sidĂ©rurgie, la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1960 met fin Ă  cette pĂ©riode de forte croissance. L’industrie luxembourgeoise Ă©tait en effet trop dĂ©pendante de son industrie sidĂ©rurgique. Cependant, Ă  partir de 1969, l'Ă©conomie se redresse et la production d’acier augmente Ă  nouveau[3]. Cette croissance entraĂźne alors un fort besoin en main-d’Ɠuvre. Afin d’attĂ©nuer la pĂ©nurie de main-d’Ɠuvre sur le marchĂ© du travail national, le gouvernement luxembourgeois dĂ©cide de recourir Ă  une politique d'immigration[4] tout en dĂ©veloppant son secteur tertiaire.

De nouvelles entreprises sont crĂ©Ă©es, notamment dans le domaine de la construction et nĂ©cessitent une main d’Ɠuvre plus importante. Les Luxembourgeois Ă©tant de plus en plus attirĂ©s par le secteur tertiaire, en particulier au sein des domaines bancaire, financier et Ă©tatique, une importante pĂ©nurie d’ouvriers dans le secteur du bĂątiment et de la construction se faisait ressentir. L'immigration d'ouvriers portugais constituait ainsi un moyen de pallier ce problĂšme d'inadĂ©quation entre l'offre et la demande de travail[5].

Cependant, le Portugal n’était pas le premier choix. En effet, le gouvernement luxembourgeois considĂ©rait la Tunisie comme un partenaire potentiel. Or, la religion musulmane posait un Ă©ventuel obstacle Ă  l’intĂ©gration de ces travailleurs[6]. Afin d’engendrer une immigration culturellement plus proche, le gouvernement luxembourgeois dĂ©cide de se tourner vers le Portugal. Au-delĂ  de la mĂȘme religion, la famille grand-ducale avait des liens avec la monarchie portugaise. Sans oublier que c'est au Portugal que le gouvernement s'est rĂ©fugiĂ© pendant la Seconde Guerre mondiale. Les premiers arrivants de nationalitĂ© portugaise Ă©taient originaires des rĂ©gions rurales et faisaient partie d’un milieu social modeste[7]. ParallĂšlement Ă  cet accord avec le Portugal, le Luxembourg met en place un accord semblable avec la Yougoslavie, qu'il signe Ă  Belgrade, le 28 mai 1970[8].

Contenu de la loi

Le , l’Accord entre en vigueur. Bien qu'il ne soit valable que pour un an, il se renouvĂšle tacitement pour une annĂ©e supplĂ©mentaire, sauf s’il Ă©tait dĂ©noncĂ© par Ă©crit par une des parties. Les deux organes responsables pour la mise en Ɠuvre de toutes les modalitĂ©s sont la Junta da Emigraçao du cĂŽtĂ© portugais et l’Office national du Travail du cĂŽtĂ© luxembourgeois.

L’article 2 prĂ©voit une transmission pĂ©riodique des besoins en main-d’Ɠuvre de l’Office national du Travail Ă  la Junta. L’Office doit Ă©galement donner des renseignements sur les conditions gĂ©nĂ©rales de vie et de travail au Luxembourg ainsi que des informations portant sur les salaires, les impĂŽts et la sĂ©curitĂ© sociale. En annexe de l’Accord se trouve un exemplaire d’une « Fiche personnelle pour demandeur d’emploi ». Ces fiches sont Ă  remplir par les autoritĂ©s portugaises et Ă  remettre aux autoritĂ©s luxembourgeoises qui communiqueront par la suite les fiches personnelles aux employeurs ayant dĂ©posĂ© une offre d’emploi auprĂšs de l’Office.

L’article 3 dĂ©finit les modalitĂ©s du contrat de travail, comme le genre du travail, la durĂ©e, les conditions de travail et de logement ainsi que la rĂ©munĂ©ration. DĂšs que le contrat est Ă©tabli, il est communiquĂ© Ă  la Junta et signĂ© par le travailleur. Avant son dĂ©part, le travailleur doit se soumettre Ă  un contrĂŽle mĂ©dical, conformĂ©ment Ă  l’article 4. Une fois arrivĂ©s au Luxembourg, les travailleurs reçoivent une autorisation de travail valable pour une annĂ©e qui peut ĂȘtre prolongĂ©e par la suite.

L’article 9 fixe les conditions sous lesquelles la famille du travailleur peut le rejoindre : le travailleur doit avoir travaillĂ© au Luxembourg pendant 3 mois et il doit possĂ©der un logement convenable. La famille comprend l’épouse et les enfants. Dans le mĂȘme article, le gouvernement luxembourgeois s’engage par le biais du service social pour la main d’Ɠuvre Ă©trangĂšre Ă  aider les nouveaux arrivants portugais dans la premiĂšre phase d’adaptation.

L’article 11 dĂ©termine que les enfants des travailleurs portugais doivent frĂ©quenter toutes les Ă©coles du systĂšme Ă©ducatif luxembourgeois. Au-delĂ , l’Office du travail aidera ces Ă©lĂšves Ă  rechercher un emploi dĂšs qu’ils ont acquis une formation professionnelle. Ce mĂȘme article prĂ©voit Ă©galement la mise en place d’un enseignement de la langue portugaise ainsi que des cours complĂ©mentaires pour les enfants portugais, voire pour leurs parents.

Finalement, l’article 15 prĂ©voit la crĂ©ation d’une « Commission Mixte », composĂ©e de 3 reprĂ©sentants de chaque pays, qui est censĂ©e se rĂ©unir au moins une fois par an pour examiner les difficultĂ©s et problĂšmes potentiels survenus lors du recrutement des travailleurs[9].

Impact de la loi

La loi a un effet immĂ©diat. Entre 1969 et 1974, 24 560 Portugais arrivent au Luxembourg[10]. Pendant que l’annĂ©e 1970 comptait encore environ 5 800 Portugais au Luxembourg, le nombre c’est multipliĂ© par 5 en 1981 pour atteindre 29 000[11]. De loin il s’agit de la hausse la plus grande concernant les travailleurs Ă©trangers au Luxembourg. L’accord avec la Yougoslavie entrainait seulement un surplus de 1 000 travailleurs. Ceci est aussi liĂ© au fait que cet accord ne prĂ©voyait pas l’arrivĂ©e des familles des travailleurs. Cette hausse des immigrĂ©s provoque aussi la crĂ©ation de plusieurs services et associations : Service Social de l’Immigration (1972), UniĂŁo (1972), prĂ©curseur de l’Association de Soutien aux Travailleurs ImmigrĂ©s (1979)[12]. Autre effet bĂ©nĂ©fique de cette migration : depuis l’afflux des Portugais, le faible taux de natalitĂ© au Luxembourg s’est redressĂ© et supporte ainsi Ă©galement la croissance Ă©conomique.

Ce mĂȘme accord bilatĂ©ral fait aussi partie d’un Ă©pisode aux contours plutĂŽt xĂ©nophobes. En 1973, lors d’une visite du ministre portugais des Affaires Ă©trangĂšres, les autoritĂ©s luxembourgeoises se sont accordĂ©es avec le ministre fasciste pour freiner l’arrivĂ©e de Cap-Verdiens au Luxembourg. À l’époque, ces derniers Ă©taient encore des citoyens portugais. Lors d’une sĂ©ance Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s le 13 fĂ©vrier 1973, le dĂ©putĂ© du Parti chrĂ©tien-social luxembourgeois (CSV) Jean Spautz rĂ©pĂšte cette promesse de la « dĂ©lĂ©gation portugaise (
) de n’entreprendre aucune mesure visant Ă  stimuler l’émigration des travailleurs portugais du Cap-Vert et de leurs familles ». Cette dĂ©claration est suivie d’un « TrĂšs bien ! » des rangs du CSV[13] - [14].

NĂ©anmoins, l’immigration portugaise ne s’est jamais interrompue dĂšs la signature des accords entre le Luxembourg et le Portugal[15]. Bien qu’en diminution, les Portugais restent la communautĂ© Ă©trangĂšre la plus grande au Luxembourg, comptant pour 15,2% de la population totale (janvier 2020)[16].

Conclusion

Les effets de cet accord sur la migration envers le Grand-DuchĂ© sont indĂ©niables : la communautĂ© portugaise au Luxembourg est devenue partie intĂ©grante du pays. Des accords avec un autre pays auraient changĂ© le visage du Luxembourg comme on le connaĂźt aujourd’hui. L’immigration portugaise est souvent comparĂ©e Ă  l’immigration italienne au Luxembourg. Cependant, il existe des diffĂ©rences. Une caractĂ©ristique qui distingue l’immigration portugaise de celle des Italiens Ă©tait la volontĂ©, dĂšs le dĂ©but, de s’installer durablement[17]. En plus, dans le cas de l’immigration italienne, le regroupement familial Ă©tait plus compliquĂ© et non pas rĂ©glĂ© par un traitĂ©.

Notes et références

  1. “Loi du 11 avril 1972 portant approbation de l’Accord entre le Grand-Duché de Luxembourg et la RĂ©publique portugaise relatif Ă  l’emploi des travailleurs portugais au Luxembourg, signĂ© Ă  Lisbonne, le 20 mai 1970. », MĂ©morial A-N° 26/20 avril 1972. https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1972/04/11/n2/jo
  2. SCUTO, Dennis, "25 ans d’action pour l’immigration 1985-2010", p. 32.
  3. THEWES, Guy. "Les gouvernements du Grand-Duché de Luxembourg depuis 1848 (Edition 2011)", p. 177.
  4. THEWES, Guy. P. 178
  5. HOFFMANN, Serge, “L’immigration au Grand-DuchĂ© de Luxembourg. De l’époque industrielle Ă  aujourd’hui”, dans Luxembourg: histoires croisĂ©es des migrations. Migrance. N° 20, 2002. p. 60-69.
  6. HARTMANN-HIRSCH, Claudia. „Les immigrĂ©s hautement qualifiĂ©s : Le cas du Luxembourg“, dans Migrations SociĂ©tĂ©â€œ, N° 117-118, 2008, p. 25.
  7. TOURBEAUX, JĂ©rĂŽme. „L‘intĂ©gration des Portugais du Luxembourg“, dans European Journal of Sociology, Vol. 53, N° 2, 2021, p. 236.
  8. “Loi du 11 avril 1972 portant approbation de l’Accord entre le Grand-DuchĂ© de Luxembourg et la RĂ©publique socialiste fĂ©dĂ©rative de Yougoslavie rĂ©glementant l’emploi au Luxembourg des travailleurs yougoslaves, signĂ© Belgrade, le 28 mai 1970.”, MĂ©morial A-N° 26/20 avril 1972, https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/1972/04/11/n2/jo
  9. “Loi du 11 avril 1972 portant approbation de l’Accord entre le Grand-Duché de Luxembourg et la RĂ©publique portugaise relatif Ă  l’emploi des travailleurs portugais au Luxembourg (...)
  10. THEWES, p. 178
  11. SCUTO, p. 31
  12. SCUTO, p. 33
  13. DA COSTA, Nuno Luca, „Luxembourg-Portugal: Le saviez-vous?“, dans woxx, 12.10.2016, https://www.woxx.lu/luxembourg-portugal-le-saviez-vous/.
  14. Cf. Projet de loi portant approbation de l’Avenant Ă  la Convention entre le Luxembourg et le Portugal sur la sĂ©curitĂ© sociale signĂ©e le 12 fĂ©vrier 1965, fait Ă  Luxembourg, le 5 juin 1972, dĂ©posĂ© en janvier 1973 Ă  la Chambre des DĂ©putĂ©s
  15. TOURBEAUX, p. 236
  16. STATEC, „626 000 habitants au 1er janvier 2020“, dans Statnews, N°09, 1.4.2020, p. 4.
  17. HOFFMANN, Serge,   “L’immigration au Grand-DuchĂ© de Luxembourg. De l’époque industrielle Ă  aujourd’hui”, dans Luxembourg: histoires croisĂ©es des migrations. Migrance. N° 20, 2002. p. 60-69.
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