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Économie quaternaire

L’« Ă©conomie quaternaire » ou « Ă©conomie du quaternaire » est un concept crĂ©Ă© par MichĂšle Debonneuil. Le concept recouvre essentiellement un secteur Ă©conomique conjuguant le secteur secondaire et le secteur tertiaire dont les produits ne sont ni des biens, ni des services, mais « de nouveaux services incorporant des biens, la mise Ă  disposition temporaire de biens, de personnes, ou de combinaisons de biens et de personnes ». Outre ces produits, le secteur quaternaire comprend les technologies de l'information et de la communication (TIC) et la formation qui y sont associĂ©es, ainsi que les actions de l'État pour soutenir son dĂ©veloppement.

Les travaux de MichĂšle Debonneuil l'ont conduit Ă  dĂ©velopper le concept d'« Ă©conomie quaternaire »[1] sur la base du constat de l'interaction croissante entre diffĂ©rents Ă©lĂ©ments - ainsi, par exemple, dans le domaine des services de proximitĂ©, des services Ă  la personne, ou des nouvelles technologies de traitement de l'information et de communication (TIC
).

La montée des activités de service

Une demande accrue de services

Les services au consommateur connaissent un développement sans précédent :

  • Services dits de proximitĂ©, offerts dans des lieux dĂ©diĂ©s : Ă©coles, hĂŽpitaux, garages, salons de coiffure, etc. Avec la contrainte que le consommateur n’a pas le choix du lieu, ni mĂȘme le choix du temps oĂč le service sera rendu : il lui faut prendre rendez-vous.
  • Services Ă  domicile, avec la fourniture de « petits » services « triviaux » (de la rĂ©paration d’un bouton au remplissage de la dĂ©claration d’impĂŽt ou au nettoyage des vitres). Avec la contrainte que les tarifs demandĂ©s ne sont pas forcĂ©ment accessibles Ă  tous (il n'est pas rare qu'un dĂ©placement et une heure de travail soient facturĂ©s pour un service qui n’aura pris que quelques minutes ou mĂȘme quelques secondes).
  • Services Ă  la personne, orientĂ©s vers la fourniture d'un service spĂ©cifique et, le plus souvent, d'une gamme de services, adaptĂ©s Ă  l'Ă©tat ou Ă  la situation d'une personne.

Une offre facilitée et encouragée par les apports des TIC

Le développement en cours des TIC (technologies de l'information et de la communication) provoque l'irruption de nouvelles « maniÚres de faire » qui amplifient, modifient la gamme des prestations offertes et accroissent les possibilités de :

– « mettre Ă  la disposition du consommateur, lĂ  oĂč il le souhaite, quand il le souhaite et pour une durĂ©e Ă©ventuellement courte, un prestataire capable d’apporter le savoir ou le savoir-faire demandĂ© » ;
– dĂ©placer le lieu de fourniture des services des lieux dĂ©diĂ©s au lieu souhaitĂ© par le consommateur. Par exemple en substituant les soins Ă  domicile aux soins hospitaliers ;
– d'assurer dans les cas nĂ©cessaires, la fourniture de prestations « Ă  distance ».

L’économie quaternaire aujourd'hui et demain

L’économie quaternaire naĂźt ainsi de la conjugaison du secondaire et du tertiaire ; ses produits ne sont ni des biens, ni des services, mais « de nouveaux services incorporant des biens » : « La frontiĂšre entre les biens et les services s’estompe. » Elle peut impliquer des Ă©changes informels et non monĂ©taires, ou un systĂšme d'Ă©change local (SEL).

Sans surprise, tout comme les produits de la RĂ©volution industrielle hier (l’automobile, la tĂ©lĂ©vision
), les produits du quaternaire concerneront d’abord les classes les plus aisĂ©es avant de se diffuser dans l’ensemble de la population. Comme durant l’essor des Trente Glorieuses, on peut s’attendre Ă  une « spirale vertueuse entre gains de productivitĂ©, nouveaux emplois crĂ©Ă©s, Ă©lĂ©vation du pouvoir d’achat et accroissement de la demande ». Cela suppose que les emplois du quaternaire soient hautement qualifiĂ©s (et les biens associĂ©s soient assez sophistiquĂ©s) pour que les mĂ©nages y aient recours[2], ce qui requiert l'intervention de l'État et des efforts de formation.

  • Aujourd'hui : Cette Ă©volution des services est dĂ©jĂ  visible dans certains secteurs : livraison des courses Ă  domicile, fourniture de repas (pour personnes ĂągĂ©es, par livreur de pizza dans les grandes villes, etc.), soutien scolaire, assistance informatique, achats sur Internet, etc. La mise Ă  disposition de biens durables pour des durĂ©es variable, souvent courtes pourrait se substituer de plus en plus Ă  leur achat. Utiliser le « VĂ©lib' » devient une alternative Ă  l’achat d’une bicyclette.
  • Demain, diffĂ©rents types de vĂ©los en libre service »[3] ou de vĂ©hicules propres pourraient se substituer au modĂšle de transport actuel. Aujourd’hui, le consommateur est propriĂ©taire de nombreux biens :
Automobile, qui n’est souvent utilisĂ©e que quelques minutes par jour, soit rarement plus de 10 % du temps,
Machine Ă  laver qui ne sert que quelques heures par semaine,
Tondeuse Ă  gazon qui servira quelques heures par an,
Logiciels qui ne serviront que trùs peu – sinon jamais.

La charge postĂ©rieure Ă  l'achat n'est pas mince pour le consommateur : c’est Ă  lui d’apprendre Ă  se servir de son Ă©quipement, de lui trouver une place de stockage, de l’assurer, de l’entretenir, de se dĂ©brouiller pour le faire rĂ©parer, 
 et de s’en dĂ©barrasser parce que « ce n’est pas rĂ©parable ».

Pour MichĂšle Debonneuil l'avenir passe plutĂŽt par des entreprises qui pourraient :

– soit mettre Ă  disposition ses salariĂ©s ;
– soit servir d'intermĂ©diaire entre les personnes qui fournissent les services ou « biens-et-services » et ceux qui en bĂ©nĂ©ficient, notamment au moyen de contrĂŽles automatiques et Ă  distance portant soit sur des biens soit sur des personnes[4].

Elle note que si chaque mĂ©nage faisait appel Ă  ces services une heure par semaine, un million d'emplois pourraient ĂȘtre crĂ©Ă©s[5], et que la plupart de ces emplois – de salariĂ©s ou de travailleurs indĂ©pendants – ne sont pas dĂ©localisables. MĂȘme si les progrĂšs du quaternaire en matiĂšre d’emploi sont plutĂŽt lents[6], ils seraient plus Ă  mĂȘme de renouveler l’industrie des pays dĂ©veloppĂ©s et ainsi d’aider Ă  la sauver[7].

Enfin, l’économie quaternaire constituerait la meilleure rĂ©ponse au dĂ©fi du dĂ©veloppement durable, en renversant la perspective :

« plutĂŽt que d’instaurer un nouveau schĂ©ma de production et de consommation Ă  base d’éco-activitĂ©s qui visent Ă  ne pas dĂ©truire la planĂšte et de vĂ©rifier que ce faisant on peut en attendre un peu de croissance, ne peut-on pas se donner pour objectif de mieux satisfaire nos besoins en le faisant tout autrement, et de vĂ©rifier que ce faisant on le fera proprement ! Objectif beaucoup plus ambitieux mais dont la visĂ©e donne une chance de ne pas conduire – Ă  trĂšs court terme – Ă  une nouvelle impasse ! »[8]

En , le premier ministre français chargeait MichĂšle Debonneuil d’une mission de coordination du suivi et de l'Ă©valuation d'expĂ©rimentations concernant l'utilisation des TIC dans le cadre de cette nouvelle Ă©conomie du quaternaire[9] - [10].

Autres visions de l'Ă©conomie quaternaire

Le sociologue Roger Sue avait utilisĂ© le terme dans une tout autre acceptation Ă  la fin des annĂ©es 1990, comme le « secteur du nouvel Ăąge de l’économie », oĂč « l'homme s'empare de la production (et non plus l'inverse) et oĂč les individus trouvent, Ă  cĂŽtĂ© de l'emploi salariĂ©, des gratifications et des critĂšres d'investissement personnel profondĂ©ment diffĂ©rents de ceux du marchĂ© et du secteur public ». « Les acteurs de cette nouvelle Ă©conomie sociale visent un objectif clair, d'utilitĂ© Ă©conomique et sociale, et un statut crĂ©dible vis-Ă -vis de l'extĂ©rieur : le volontariat » [11].

Le philosophe et sociologue Michel Clouscard qualifie de « quaternaire » l'époque actuelle du libéralisme mondial marquée par le développement de nouveaux rapports sociaux liés aux technologies numériques et par la constitution d'une classe qui porte ce développement, la « classe quaternaire ». Cette classe est constituée de techniciens et cadres moyens et supérieurs de l'économie numérique et permet le développement des échanges mondiaux. Elle est une des classes de la médiation qui permet d'éviter le conflit classe contre classe et l'enjeu d'un nouveau populisme distinct du fascisme traditionnel lié au développement du capitalisme concurrentiel[12].

Notes et références

  1. Debonneuil, MichÚle (03-2007) L'Espoir économique : vers la révolution du quaternaire], Bourin éditeur, , 135 p. Voir Revue par Camille Dorival, Alternatives économiques n° 259, .
    Laisné, Céline (05-2008) « La révolution du quaternaire. Compte-rendu de la table ronde du 20 novembre 2007 ». Futuribles, , 3 p.
    Debonneuil, MichĂšle (12-2008) « L'espoir Ă©conomique », 10 p. in StratĂ©gie pour la France ?, SociĂ©tĂ© de stratĂ©gie, collection ‘Agir’, 106 p.
    La vie des idées.fr (12-2008) « Innovation et société du XXIe siÚcle. Entretien avec MichÚle Debonneuil » nov. 2008, publié le 9 déc. 2008, 10 min 28.
    « Croissance et emplois de l'avenir », confĂ©rence jĂ©co, ”Les journĂ©es de l’économie”, , partie 1, 40 min 36 ; partie 2 : 10 min 30 ; partie 3 : 29 min 00.
    Debonneuil MichĂšle (07-2009). L’Économie quaternaire, nouveau modĂšle de croissance et rĂ©ponse immĂ©diate Ă  la crise. Note Ă  Nathalie Kosciusko-Morizet, .
    Debonneuil, MichĂšle (01-2010) « L’économie quaternaire : une croissance durable Ă  construire », Centre d'analyse stratĂ©gique, , 47 pp. ; vidĂ©o. , 2 min 5 s.
    « De l’horreur Ă©conomique Ă  l’espoir Ă©conomique », Dirigeant, le magazine des jeunes dirigeants d’entreprise, .
    Debonneuil, MichĂšle (05-2010). « L’économie quaternaire, nouveau modĂšle de croissance et rĂ©ponse immĂ©diate Ă  la crise ». P.169-178 in Godet, Michel ; Durance, Philippe et Mousli, Marc, eds. CrĂ©ativitĂ© et innovation dans les territoires, La Documentation française, Paris, mai 2010, 472 p.
  2. Selon la thĂ©orie Ă©conomique marginaliste, les mĂ©nages ne font appel Ă  des services que si cela leur coĂ»te moins que de produire ces services eux-mĂȘmes. Voir Dorival, Camille (06-2007). « L'espoir Ă©conomique. Vers la rĂ©volution du quaternaire par MichĂšle Debonneuil », Alternatives Ă©conomiques, n° 259, juin 2007.
  3. En France : AlloCyclo, Cyclocity, STAR, le vélo, Libélo, VCUB, Vélivert, Vélo'+, Vélomagg', Vélopop', Veloway...
  4. Debonneuil, MichÚle (11-2012) « L'économie numérique comme nouveau relais de croissance : illusion ou solution ? », La Tribune, 6 novembre 2012. Proxima Mobile « Les objets connectés comme relais de croissance économique », 19 novembre 2012.
  5. 27 millions de mĂ©nages en France (donnĂ©e Insee) × 1 h/semaine = 27 millions d'heures par semaine = 1 million d'emplois. Si on ajoute les emplois induits dans la production et l'entretien des biens mis en Ɠuvre par l'Ă©conomie quaternaire et dans la formation des personnels, on pourrait arriver Ă  quatre millions d'emplois : voir Lechypre, Emmanuel « CrĂ©er quatre millions d'emplois, c'est possible. » L’Express, 7 novembre 2017.
  6. Escande, Philippe (11-2012) « Le quaternaire se fait attendre. » Le Monde Économie 26 novembre 2012. Rousset, Dominique (12-2017) « La 4Ăšme RĂ©volution industrielle Ă  petits pas. » France Culture, 13 dĂ©cembre 2017.
  7. Debonneuil, MichĂšle (02-2012) « Industrie: qu'avons-nous intĂ©rĂȘt Ă  produire en France ? » Atlantico, .
    Stoessel, Charles (04-2017) « L'informatisation des services Ă  la personne. » ConfĂ©dĂ©ration française des travailleurs chrĂ©tiens, , 159 pp. (p.82)
    LachĂšvre, Cyrille (02-2018). « MenacĂ©es d’ubĂ©risation, beaucoup d’entreprises de services sont en train de lancer des solutions « quaternaires » ». L’Opinion, .
    Voir aussi Passet, Olivier (03-2018) « Le numĂ©rique va-t-il provoquer la fin du salariat ? » La Tribune, Opinions, 13 mars 2018.
  8. Debonneuil, MichĂšle (06-2012) « Changer d’objectif pour atteindre le dĂ©veloppement durable ». In « Paroles d’économistes. Les Ă©conomistes prennent la parole », Conseil Ă©conomique pour le dĂ©veloppement durable, juin 2012, pp. 137-141.
  9. Debonneuil, MichĂšle (07-2011) « Comment passer d'une Ă©conomie de « l'avoir plus » Ă  « l'ĂȘtre mieux » », Le Monde, 26 juillet 2011.
  10. Grandcoing, Catherine « MichĂšle Debonneuil (1973), portrait d’une femme libre et engagĂ©e », Variances.eu, le webzine des Ensae alumni, 22 juin 2018.
  11. Sue, Roger La Richesse des hommes. Vers l'Ă©conomie quaternaire. Éditions Odile Jacob, Paris, 1997, 203 p.
    Cassen, Bernard « La Richesse des hommes, de Roger Sue. Demain le quaternaire ? » Le Monde diplomatique, .
    Sue, Roger « Du tiers secteur à l'économie quaternaire ». Transversales, n° 57, 1999 « Le tiers secteur en débat ».
    Eme, Bernard et Laville, Jean-Louis (1999). « Pour une approche pluraliste du tiers secteur ». Nouvelles Pratiques sociales, vol. 12, n° 1, 1999, p. 105-125.
  12. Clouscard, Michel Refondation progressiste face à la contre-révolution libérale, éditions L'Harmattan, Paris, 2003, 162 p.
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